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16 mai 2009 6 16 /05 /mai /2009 04:19



à savoir : à placer (vite) dans la présentation du poème


LE RONDEL est un poème à forme fixe très pratiqué au 14, 15, 16ème siècles et comprenant en principe 13 vers construits sur deux rimes
et 3 strophes :un q à rimes embrassées, un quatrain à rimes croisées, un quintil formé d'un quatrain à rimes embrassées et de la reprise du premier vers du poème ; en outre les deux derniers vers du second quatrain répètent les deux premiers vers du sonnet. Les rondels de Charles d'Orléans sont célèbres ET ON PEUT VOIR QUE CORBIÈRE PREND BEAUCOUP DE LIBERTÉS AVEC CETTE FORME.

RONDEL de Charles d'Orléans :


QUAND J'AI OUY LE TABOURIN
POUR S'EN ALLER AU MAY
EN MON LIT FAIT N'EN AY EFFRAY
NE LEVÉ MON CHEF DU COISSIN

EN DISANT: IL EST TROP MATIN,
UNG PEU JE ME RENDORMIRAY,
QUAND J'AI OUY LE TABOURIN
SONNER POUR S'EN ALLER EN MAY

JEUNES GENS PARTENT LEUR BUTIN:
DE NONCHALOIR M'ACOINTERAY,
À LUI JE M'ABUTINERAY;
TROUVÉ L'AY PLUS PROCHAIN VOISIN,
QUAND J'AI OUY LE TABOURIN.


SITUATION biographique:  Corbière fut un des poètes maudits auxquels Verlaine rendit hommage dans son  livre éponyme, en 1884. [le roman À REBOURS de JK HUYSMANS FIT aussi BEAUCOUP POUR SA DÉCOUVERTe].  Vie très tôt brisée par la hantise de sa laideur( dites que nous avons lu le CORBEAU) , la maladie, originalité et excentricité (de dandy*) incomprises du commun des hommes, œuvre publiée à compte d’auteur, amours impossibles, tout est signe de malédiction dans cette existence fort brève : né en 1845, Corbière s’éteint en 1875.



•SITUATION de notre texte

    Le poème
de décasyllabes que nous allons lire est le deuxième de la dernière section des Amours jaunes [pourquoi jaune? Aimer jaune comme on rit jaune..] : «Rondels pour après» (pour après la lecture des autres poèmes) : huit textes légers, aériens, musicaux mais aussi funèbres. NOTRE POÈME EST LE SEUL À REPRENDRE COMME TITRE,  LE TITRE DE LA SECTION.

•LECTURE

• un mot sur le titre . Le choix est à lui seul remarquable : Corbière  insiste sur la forme, désuète (rappelez ce qu’est un rondel* supra),  comme si elle l’emportait sur le  fond, ou comme si elle lui préexistait : en effet, les sonorités R et EL déterminent les rimes, masculines en -ouR, et les rimes féminines en -ELles (qui rappellent Marcelle, pseudonyme d’Herminie, la femme aimée) : le poème semble jaillir du titre et partiellement aussi d'une fable de La Fontaine : L'OURS ET L'HOMME EN SON JARDIN..

•ENJEU /PROBLÉMATIQUE: ce texte paradoxal, pétri de contradictions ne peut-il se lire comme  une berceuse amère?
    
•ANNONCE DU PLAN : une berceuse, une berceuse cruelle qui révèle beaucoup sur le poète.

                     
I- UNE BERCEUSE :

1- Par son sujet:

- le destinataire est un enfant/tu , il fait noir, et dors revient 3 fois;

- on a la présence féminine attendue (en attendant venir toutes celles), tandis que la possibilité d’une venue masculine est rejetée dans le quintil. (On peut penser à la berceuse bretonne TITOUIC , dans laquelle la mère fredonne : «ton père est au loin et ta mère est ici qui  veille  son enfant chéri»).

- la parole adressée à l’enfant, avec l’impératif dors (qui rappelle les dodo l’enfant do dont Corbère fit un poème, le suivant de celui-ci), mais un impératif sans brusquerie : les points de suspension ou les deux points donnent (en apparence) un  prolongement doux à la demande.


2-  Par sa musique (il est d'ailleurs beaucoup question d'entendre dans ce poème): une berceuse repose sur le principe de répétition. Or, les répétitions sont nombreuses:

-avec le refrain citez
-les anaphores non seulement dors mais entends-tu
-les répétitions : v2+v 4 citez
-on est frappé par l'économie des moyens utilisés : ainsi nous avons peu de mots nouveaux placés en début de vers.

Surtout on est frappé par l'omniprésence du pronom personnel ou impersonnel (il- citez) qui renvoie aux nombreux elle.

II- Berceuse contrariée, cruelle:

1- un berceuse apaise les angoisses d’un petit enfant. Celle-ci les cultive au contraire.

certaines de ces angoisses sont dues au Temps  :

Il fait noir, dit la voix à l’enfant. Voilà une phrase inattendue dans une berceuse, où il s’agit de rassurer l’enfant  de la peur du noir. Le “fais dodo” devient un “il fait noir” terrifiant.

__>d’autant plus que cette nuit ne sera pas suivie d’une aube salutaire : il n’est plus de jours, il n’est plus de nuits. Nuit et jour  sont confondus  dans un temps indéterminé dont on comprendra à la troisième strophe qu’il s’agit du temps de la mort.

Mais même l’éternité se brouille: on se dit en v3 que l'attente est possible : elles vont venir . Qui? : l’antithèse celle qui disaient jamais, qui disaient toujours se résorbe dans une équivalence :celles qui disaient JAMAIS JE NE T'AIMERAI, saisies de remords ou celles qui 
promettaient un amour éternel (JAMAIS JE NE T'ABANDONNERAI & TOUJOURS JE SERAI LÀ).
 
Bref  celles qui  ont trahi leur parole ou changé d'avis  vont-elles venir? Par sa question le locuteur entretient l'espoir : mais le vers couperet tombe brutalement : citez 7.C'est irrémédiable.


         
l' univers de cette berceuse est celui de  la négation    (v. 2, v.5( entretenant une illusion), v.10) qui se dessine, bien éloigné de l’atmosphère de la berceuse. On prend mieux la mesure négatrice de la consonne N au commencement de NOIR, tellement répété.

• En réalité, on comprend peu à peu que l’enfant est mort et que la berceuse l’invite à accepter le néant, le sommeil de la mort  : il s’agit d’un texte d’une cruauté sans pareille. Ce que l’on ne pouvait que deviner dans le quatrain s’affirme au début du quintil : les caveaux étouffent les voix de l’extérieur : le faix d’immortelles (
aux couleurs or solaire, grenat, blanc) est le bouquet de fleurs dérisoire qui a été posé sur la tombe.

  Ou bien, autre hypothèse, cette cruauté est une forme de l'amertume  : le poète est l'enfant, il se projette en lui,  il se parle  comme s'il faisait le bilan d'une vie avortée, volée, à peine commencée et le caveau est l'enfermement dans la solitude..


2- Comme pour blesser plus encore l’enfant, ou lui-même, le poète  insiste sur sa solitude irréparable

•Le  texte repose sur une  gradation : à l’attente des femmes (v.3) succède la certitude que les amis ne viendront pas. A la différence de l’amateur de jardins de la fable de La Fontaine, l’enfant n’aura même pas des ours pour amis.

•Cette solitude  s’exprime aussi à travers une gradation décroissante sonore : aux voix des femmes qui disaient  fait place la perception difficile mais possible des pas (ils ne sont pas lourds) , alors que dans le quintil, même ce léger frôlement ne sera pas possible : les caveaux, personnifiés, tout-puissants, sont sourds (v.8). Et les ours ne feront pas de bruit en jetant leur pavé...

Seul bruit, le murmure d'une berceuse désenchanteresse...

                       - Solitude due  à l’amour, dont il est question à travers les figures féminines dans toutes les strophes, à travers les femmes attendues, mais traîtres à leur parole, à travers l’Amour, ailé, volage, fugitif, insaisissable,  ou encore par le truchement des demoiselles, qui suggère l’image de jeunes filles.


                      - Solitude due à l’amitié : le poète n’aura même comme le vieil homme amateur de jardins de la fable de La Fontaine, l’espoir d’avoir un ours pour ami. Sa solitude est irrémédiable.


  Ce n'est pas tout. Le poème surenchérit :

3-la berceuse chante l'impuissance & presque punition du poète (qui est l')enfant



- nous sommes évidemment frappés par voleur d'étincelles qui clôt d'ailleurs (tragiquement) le poème. Corbière a aimé cette idée et il en a fait de nombreuses et belles variations cf beau décrocheur d'étoiles; chevaucheur de rayons.

-dans tous les cas  on s’aperçoit qu’elle est fort ironique : le voleur d’étincelles rappelle en miniature le voleur de feu qu’est Prométhée, le titan qui  vola le feu aux dieux pour le donner aux hommes, qui se dressa contre le volonté de Zeus.  Mais le Titan  n’est qu’un enfant pitoyable, enfermé dans la nuit du caveau : il ne peut s’éclairer ; comment pourrait-il éclairer les hommes ? Ce ne sont qu’étincelles, faibles éclats mourant aussitôt. Éphémères comme les amours, les amitiés. Et ne servant à rien dans le noir.

On comprend encore mieux que le poète est l'enfant. A la figure grandiose du Titan s’oppose donc implicitement  la fragilité du poète-enfant, qui ne saurait servir d’intermédiaire entre  le monde des dieux et celui des hommes. Le refrain est d’ailleurs ironique par l’antithèse entre le noir et le voleur d’étincelles vite absorbées...par la nuit.

Le poète voleur d'étincelles est puni en la figure de l'enfant car son œuvre ne servit à rien. Pas d'auditrices fidèles, pas de postérité poétique.

Ici le poète s'est donc  dédoublé : la voix est double avec, si l'on peut dire,

- d'une part une voix muette dorénavant, celle de l'enfant devenu muet lui qui chantait comme un  feu d'artice que personne ne prit  au sérieux.
-l'autre celle qui écrit, dit le poème qui chante encore ce pathétique grinçant parce qu'elle s'adresse à elle-même.Voix condamnée à se parler à elle-même, à se moquer d'elle. Son inspiration ? La mort d'un poète..

L'enfant est silencieux, il avait, avant, l'initiative avec ses étincelles (ses mots) : le poète ne peut qu'ironiser sur son attente passive (il dépend du caprice des visiteuses) et sur sa parole inentendue. On entend certes des voix : seulement celles des femmes perdues, qui ne reviendront jamais.



III-  Un texte pétri par les contradictions et qui en dit long sur Corbière:

1- opposition entre la forme et le fond:

- contradiction entre la légèreté de la forme  &  sens  amer du texte : le rondel est une danse.

- contradiction même entre le sujet (enfant mort) et l’existence même du poème (on lui parle comme s’il était encore vivant).

  2-contradiction sémantique :entre le sens positif des mots et leur valeur réelle.

Ainsi demoiselle peut signifier les  jeunes filles mais aussi les mouches, surtout si l'on  poursuit le rapprochement avec la fable de La Fontaine :  Ils ne viendront pas tes amis les ours a donc deux sens :

 a- rassure-toi,  les ours ne viendront pas te casser la tête en  jetant un pavé pour chasser les mouches  :

 b- personne ne viendra chasser les mouches nécrophages qui se poseront sur toi.

Un sens est
rassurant  ;  l’autre est angoissant  ; l’un est poétique —d’autant plus qu’il rappelle un autre poème,celui de La Fontaine—, l’autre est macabre.

Mais la solitude s'accroît : tu ne seras pas vengé de tes amours malheureuses.Car dans le jet de pavé on peut aussi deviner un désir secret de talion.

3- opposition thématique : selon le motif   légèreté/ pesanteur

     Tout le texte joue de cette dualité :


    • par les rimes, où s’opposent les rimes féminines : étincelles, celles, ailes immortelles, demoiselles sont des mots aux valeurs positives, aériennes, qui s’opposent avec les rimes masculines en ours (ours, plus de jours, toujours, lourds, sourds) et qui mettent en valeur des mots exprimant pesanteur, maladresse, surdité.

   • dans le corps du texte : Corbière ne cesse d’y revenir :

-d’un côté, il insiste sur la légèreté : ils ne sont pas lourds, les pieds légers, ailes ; il pèse peu.

-d’un autre côté, au contraire, il introduit un  terme en contradiction avec les premiers, qui exprime un poids écrasant : les caveaux,

- à l'inverse ce qui devrait faire poids faix est léger (le faix d’immortelle (qui se lit comme un oxymore, l’immortelle au contraire du faix étant une fleur très légère)) et le pavé ne sera pas lancé..;.


   -la contradiction est assumée durement par le vers initial qui en refrain vient sanctionner toute illusion:

-ainsi en tercet : après le mot légers, il utilise un point d’exclamation et le tiret long, puis après ailes des points de suspension qui donnent un espoir . Le lecteur tombe de haut alors. IL fait noir.... La cassure est terrible.        

            


[4- Même dans la ponctuation : le texte  alterne points d’exclamation martelant brutalement le chant,   et  points de suspensions doux, qui créent des silences ou  qui poursuivent la parole qui vient d’être émise. On s’aperçoit que tout l’arsenal de la ponctuation est utilisé dans ce poème (montrez-le)]


=>   Même la cruauté du poète, qui s’abat sur son double régressif, feignant  de le consoler pour mieux le narguer a son envers, son contraire  : puisqu’aucun espoir n’est permis, il ne reste vraiment qu’à dormir, à accepter la mort, à laisser la conscience sombrer dans le néant, préférable aux lointains et pitoyables échos de la vie : être dans la tombe c’est redevenir enfant, retrouver un univers utérin, ce noir qu'il n'aurait jamais dû quitter....Malgré le sarcasme ce poème dit une libération-tragique.

 

cl:    En un texte très court, et très répétitif, sorte de ronde d'enfance
douloureuse, sorte d'étincelles dans la nuit , Corbière parvient à une richesse sémique remarquable (affirmations réversibles, tensions, tons contradictoires, jeu entre la forme et le fond), à une variété de tons ( douceur, ironie, cruauté , douleur dans le sujet  de l’enfant mort) et de formes (quatrain, tercet, quintil). Dans ce poème cruel et tendre à la fois, mélodieux et grinçant,  Corbière, en s’acharnant sur l’autre, s’acharne sur lui, le déjà presque mort, le pas encore résigné à son sort. Mais les sarcasmes sur l’enfant-poète auront révélé un grand écrivain, d’une musicalité extrême.

Seule immortalité possible pour Corbière,  celle des fleurs   (immortelles) aux couleurs or solaire, grenat, blanc? Non. Il a été enfin entendu.


AUTRES PROBLÉMATIQUES :

  -montrez le pathétique/le tragique/ de ce poème.

  -quelle image ce RONDEL donne-t-il du poète?



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