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27 janvier 2008 7 27 /01 /janvier /2008 04:52


LA NUIT DANS R & J

Dans une pièce hantée par le désir et la mort, quelle est l'importance de la Nuit?


 I-DANS LE TEMPS SUPPOSÉ RÉEL DE L'ACTION :UNE ALTERNANCE COMPLEXE ET DÉJÀ SIGNIFICATIVE

          •vite fait : rappel de la répartition temporelle des actes : cf cours sur le Temps.

          • de jour :

ACTE I (dimanche 14 juillet) =>  de 1 à 3 (DU DIMANCHE MATIN (9 HEURES) à une heure imprécise : la rixe  dans la rue et en famille (chez les Cap)
ACTE II (14/15 JUILLET)=NUIT DU DIMANCHE AU LUNDI, après le balcon : aurore,matin  midi, moment du mariage ,dans l' après-midi mais aussi dans le secret de la cellule du moine.
ACTE III=LUNdI 15 JUILLET : dans l'après-midi , en pleine canicule: scène de rue, deux morts.Ju attend R et souhaite la venue prochaine de la nuit pour accueillir R: elle subit le retard de la N tandis que R dialogue avec FL et songe à se suicider : heureusement avant de partir en exil il va rejoindre J dans la nuit (échelle de cordes).

ACTE IV=MARDI 16 JUILLET-suite-: visite à FL , stratégie du simulacre de mort.Comédie de j qui joue les repentieset "accepte" apparemment le mariage avec Paris.

ACTE V= MERCREDI 17 & JEUDI 18 JUILLET.

            -MERCREDI :R À MANTOUE.Faute de message,il croit Juliette morte.Élabore son plan de suicide.

    Tout à la fin un "soleil endeuillé ne montre pas son front".On promet des statues qui brilleront à jamais...


            • de nuit :

ACTE I=retard des compagnons de R et bal masqué : coup de foudre et coup de sang de Tyb.

ACTE II (14/15 JUILLET)=NUIT DU DIMANCHE AU LUNDI : le balcon, si important.

ACTE III=LUNdI 15 JUILLET, SOIR PUIS AUBE DU MARDI. Nuit d'amour jusqu'aux adieux très tard, dans le jour naissant (à cause du bannissement: entre nuit et aube, entre rossignol & alouette) et jusqu'à une querelle chez les Cap' qui isole un peu plus J.

ACTE IV=MERCREDI commençant.nuit de l'absorption du poison bénéfique (elle évoque le caveau déjà148). Milieu de la nuit, trois heures du matin 149),  découverte du corps de J au lever du jour

 ACTE V: MERCREDI 17 & JEUDI 18 JUILLET.

       
       -JEUDI 18:Plus de minuit chez frère Laurent. Dans trois heures J va se réveiller
            -milieu de la nuit, cimetière
            -morts, suicides

QUEL BILAN PROVISOIRE ?


        R&J est une tragédie équilibrée mais qui donne nettement l'impression d'être dominée par le nocturne.
        Les grandes scènes d'extérieur, violentes, sont de jour.Hormis l'espèce de mise à mort  symbolique de J par ses parents en fin de III: nocturne et intérieure.
        Les scènes d'amour et de désir (sauf mariage) sont de nuit et vont de plus en plus près d'une nuit encadrant la mort. Une scène mêle nuit (cadre) et lumière (torches ): le baiser du bal masqué.



    II-UN ÉLÉMENT POÉTIQUE & DRAMATIQUE :

                    a) poétique :développez avec

-la belle évocation de la queen Mab, du moins au début de la tirade de Merc. "Reine de la Nuit", reine des rêves (les créant, les développant, les amplifiant).

-les célébrations de la nuit par R (la langue des amants dans la nuit ...72) et surtout par J dans son si bel hymne ( de III,2 : cf cours).

  =>   Dans ces deux cas, le lyrisme domine comme dans presque toute la scène du balcon.

-plus tragique il y a aussi une poésie"gothique" de la nuit dans les craintes de J pour son réveil dans le caveau IV,3:148

-je vous laisse improviser sur le tragique nocturne : tirade de R avant sa mort, avec l'énigmatique allusion à l'éclair.

                    b) dramatique :elle sert l'action, l'accompagne.De façon très nuancée.

Commençons par

        * l'inaction : dans le premier acte on apprend que la nuit est un refuge et une fuite : Rosaline l’inaccessible rend le jour insupportable à R qui est poussé à vénérer la lune et à créer une nuit artificielle tout le jour. Nuit du mélancolique qui cherche une harmonie avec son âme. La nuit favorise le désespoir "littéraire" de R. Son inaction.

        *peu de temps après, elle est l’occasion de la rencontre des amoureux:

-dans la lumière artificielle de la soirée de bal.
-dans la nuit du verger et du balcon : elle sert leur audace, leur défi.
-dans la nuit d’amour (moment du seul contact charnel entre eux) qui précède les adieux .

        *elle est au cœur de la pièce qui selon moi a deux foyers (mort de Merc) et hymne à la nuit 108 : dans ce dernier il y a un appel à la nuit amoureuse naturellement mais avec une association immédiate avec la mort.

        *elle est  doublement là au moment de la mort (nuit + nuit du caveau):
-le tombeau consacre l’impossible survie d'un amant sans l'autre mais aussi  leur séparation définitive.
-auparavant dans la nuit de Mantoue R aura rêvé de sa mort et de sa résurrection en empereur: Mab a dû jouer un de ses tours...

    
    =>Mais le dramatique est inséparable du symbolique.


        III-LA NUIT: UN ÉLÉMENT SYMBOLIQUE fondamental dans la présentation de la PASSION et de son univers :

   • il est capital de noter l'évolution de leur rhétorique amoureuse, signe d'un microcosme qui voudrait jouer un grand rôle.

                *au bal masqué, R la voit le premier et tout de suite, lui l'amant mélancolique de la nuit lunaire, est saisi par l'éclat solaire de J, le jewel, le joyau qui

1-rehausse la clarté des autres lumières  54 V42 et
2-scintille de façon absolue dans la nuit  COMME UN BRILLANT  à l'oreille  d'une Éthiopienne.

            *dans la scène du balcon, J semble solaire à R 64 et mérite de tuer la lune; R fait l'hypothèse d'un échange entre étoiles et yeux de J: dans les deux cas, ce serait une défaite des étoiles : les étoiles devenues yeux seraient inférieures en luminosité aux joues; les yeux de J devenues étoiles seraient tellement solaires que les oiseaux seraient égarés se croiraient en plein jour.

    On voit l'importance du céleste mais aussi  que la cosmologie est étrange : J est d'une lumière égale au moins au soleil sur fond de nuit et en même temps elle valorise les autres lumières.

                *dans l'hymne à la nuit 108 J va dans le même sens pour R qui est le soleil de sa nuit: elle rêve à la mort de son amant découpé en son corps qui deviendrait petites étoiles et ferait que le monde n'adorerait plus le soleil mais la nuit étoilée.

        Résumons : sur fond de nuit essentielle, la lumière des amants l'un pour l'autre et pour tous les vivants serait celle des étoiles devenues plus éclatantes que le soleil.

    Nous sommes alors dans "l'utopie" du désir passionné : monde idéal qui modifierait le monde entier et imposerait sa temporalité. Harmonie de nuit et de lumière avec une dominante, la nuit stellaire supérieure au jour. Appropriation du lumineux, dépassement du solaire.

    • mais nous sommes aussi dans l'idéalisation et le rêve d'une modification du monde régi par la passion:seulement la réalité se rappelle aux amants. Sous la forme de la vengeance de R tuant Tyb avec l'aide de la FUREUR À L'OEIL DE FEU, en pleine canicule104.

        Ils n'imposeront pas leur monde au monde.

        - voyons une preuve (éclatante et d'une grande poésie tragique) de leur difficulté à imposer leur monde projeté sur le monde réel : après la seule nuit passée ensemble, ils en sont à hésiter entre rossignol et alouette. L'alouette messagère du jour l'emporte infailliblement et  SÉPARE [LEURS] CORPS....125. À jamais.

    =>La tragédie de R & J tient à beaucoup de causes mais l'une des plus fortes est dans le secret de leur passion et de leur action: la nuit les protège un temps, elle leur sert de refuge où ils pensent réunir les contraires harmonieusement. Bien vite le couple n'aura plus prise sur le monde du jour et la nuit les prendra.

        Certes J traverse la nuit pendant 42 heures pour renaître à la passion : mais il y a eu contre-temps, méprise et la nuit jointe à la nuit du caveau va venir "sanctionner" ou attirer le couple dont chaque membre mourra proche de l'autre mais séparé. Il reste que R  verra en imagination une J illuminant le caveau pour Pâris, et qu'il avalera un poison qui sera une explosion qui unira la poudre et le feu, sans doute dans la forme de l'éclair (béni de leur rencontre mais dont J se méfiait 69). J se poignardera pour rejoindre la nuit sans au-delà, en regrettant de ne pas avaler le même doux cordial que son mari 174. R ne parlant pas d'au-delà non plus mais voulant partager le tombeau avec les vers caméristes de J.

        Le nuit qui devait éclairer les hommes de façon lumineuse dans le désir sincère des amants aspire le couple, et son double, la mort pansue 169 va les avaler pense R, devenu plus féroce qu'un tigre 168 et se disant fou 169. R le disait très tôt : la nuit sans J est 1000 fois plus sombre quand elle perd la lumière de J 71.

La fin viendra confirmer que le rêve d'abolir l'alternance du temps au profit d'une conjonction harmonieuse d'opposés est mort avec le couple. On peut par "nominalisme" songer à changer de nom (la pièce prouve que c'est difficile) mais on ne change pas l'ordre du monde même s'il est ressenti comme désordre.

            • faut-il aller plus loin ? Ce serait suivre la belle étude de  JK mais je vous laisse tranquille sur ce point.

cl : un mot énoncé par J dit la vérité du couple : il est question de météore 124 "que le soleil exhale / pour être cette nuit le porteur de flambeau de R". D’autre part il n’est pas sûr que l’or des statues qui doivent illuminer Vérone soit très approprié...sinon dans la nuit...


Et si Mab, puissance de l'illusion et du rêve  n'avait pas finalement gagné?
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17 janvier 2008 4 17 /01 /janvier /2008 17:36

Notion commune aisément compréhensible mais finalement assez peu définie.

    Ce n'est pas l'ironie classique où l'on dit le contraire de ce que l'on veut dire.
    l'IT suppose une situation où entrent en contraste une attente, une proximité et où ce qui promettait d'être heureux se retourne en crise, en catastrophe. La fameuse phrase "Et tout change en son contraire"participe à sa façon de l'IT.

    On peut distinguer l'ironie dramatique fondée sur l'ignorance d'un personnage ou de plusieurs et la connaissance du spectateur: elle relève du discours (ainsi R trouve J bien vivante dans le caveau: et pour cause, elle est seulement endormie). L'ironie tragique relevant du discours et surtout de la situation.

       La plus célèbre tragédie antique avec ANTIGONE est
OEDIPE ROI dans laquelle le spectateur connaisseur du mythe peut comprendre les nombreux vers à double sens et la progression des situations irréversibles qu'Œdipe ne saisit que très tard.

        Il me semble que l'ironie tragique a forcément rapport au temps. Temps du personnage enfermé dans sa temporalité qu'il croit dominer et temps du spectateur qui sait : surtout dans R&J où le prologue I dit tout d'avance.

            L'ironie vient avec tout son poids d'amertume au moment où le tragique s'impose et vient contercarrer l'attente du héros et secrètement, la nôtre.

            Dans R & J W nous offre une quantité impressionnante de cas : le nombre élevé fait déjà sens. La composition de l'œuvre doit être serrée, tenue avec virtuosité. Quand la pièce est finie, on s'aperçoit que le destin, la fortune et surtout le dramaturge ont joué de toute la gamme des formes d'I T.

             Isolons quelques exemples :
Nous avons vu l'ironie de la scène centrale III,1:c’est au moment où a eu lieu le mariage entre un Cap et une Mont, où les liens se nouent secrètement que tout éclate et sur un geste qui montre deux cas éloquents d'I T:

        1)Mercutio était un homme qui dépassait les clivages claniques et qui en meurt et provoque tout ce qui va réveiller la haine. Si, par hypothèse, il voulait sauver son ami, il l'enferme de façon plus grave dans le conflit. À long terme, le geste de Merc poussera le couple à la mort.
               2) le geste bienveillant de R donne lieu à la mort de son ami.

 Double ironie tragique.

             Le cas de FL est significatif : maître du temps, défenseur d'un temps ni trop lent, ni trop précipité, il est piégé par un retard dans un message et une course trop précipitée de R.Le mariage qui paraissait une bonne solution devient un piège de bigamie avec la volonté de Cap d'accélérer les choses après la mort de Tyb que J est supposée pleurer...


    La forme la plus cruelle d'IT est bien dans la question du temps: il suffisait de quelques secondes et tout était possible dans le caveau. La comédie de la mort est prise pour mort réelle par R.

        Thématiquement la pièce commence avec un R amoureux de la nuit; avec J il rêve d'une nuit lumineuse; lui et J meurent dans un caveau : lui en avalant un poison qui doit imploser en lui et avoir l'effet de la poudre et du feu...

    Le travail de W va jusque dans le détail d'un mot: dans la scène du baiser en fin de I il est question d'un PIEUX (HOLY) baiser; au moment de mourir, R veut donner un pieux (RIGHTEOUS) baiser. Entre les deux, une passion de 5 jours....et un Pâris qui donna lui aussi en guise d'adieu
dit-il 140 (mot du texte en français) un HOLY KISS. Il ne la reverra que morte - de façon simulée, sans même la revoir vivante.

cl=Dans un monde instable et ambivalent, l'ironie est la loi du regard tragique.

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17 janvier 2008 4 17 /01 /janvier /2008 09:42
  

 QUE REPRÉSENTE PÂRIS DANS R & J?
  
  Paris apparaît cinq fois (I,2 ; III, 4 ; IV1 et 5 ; et V, 3), ce qui est peu, mais il va représenter un ordre social, il aura un rôle dans l'action et son amour définira en creux la passion dont il ne semble pas capable.

  Scéniquement, symboliquement Pâris apparaît en I juste après la sortie de R. On ne soupçonne pas alors qu'ils seront ensemble à la fin, dans le tombeau des Cap.

    I/QUI EST-IL? Il représente un beau parti pour les parents de Juliette.

      -aux yeux des Cap, il est un jeune homme (129/132) vaillant 129, un gentilhomme véronais 129 de haut lignage 132, qui a toutes les qualités, et surtout du bien 132 (ce qui intéresse beaucoup le père Cap). Un jeune homme qui regrette la haine opposant les familles 36 Cap et Mont.

    -pour Lady Cap, P est très beau et son visage a une rare harmonie: cf 45 métaphore filée du livre.

    -il demande en mariage J (requête 36) au premier acte mais essuie un refus de Cap, ou plutôt son futur "beau-père" lui demande une sorte de délai à cause de la grande jeunesse de sa fille ; en même temps sa femme voudrait accélérer les choses, ce qu'elle fait clairement comprendre à J.

        -dans les soutiens qu'il a dans la famille, il faut compter sur celui, à éclipses, de la N: admiratrice de P en I, elle penche ensuite pour R avant de revenir en fin de III à Pâris (R lui apparaissant comme "une lavette").

        => Jeune, riche, respectueux des codes sociaux véronais, P est un parti idéal.


        2/QUE REPRÉSENTE-T-IL DANS L'ACTION ET L'INTRIGUE?

      • ce qu'il n'est pas:

            -jamais un rival pour R: c'est vaguement  après l'avoir tué, qu'il se souvient que son valet lui a parlé de P comme prétendant 170.

           -jamais une tentation pour J qui ne le recontre qu'une fois (en fait deux mais au bal elle ne l'a pas vu, éclipsé qu'il fut par R) chez Fl au début de IV et où il se comporte comme en territoire conquis: J fait preuve de beaucoup d'esprit : ses réparties sont cinglantes.

                  -il sert même d'alibi à J dans sa stratégie de gain de temps (129): elle qui n'aime pas l'idée de faire la cour s'étonne qu'on la marie si vite avec quelqu'un qu'elle connaît à peine.


      • profondément il représente  involontairement un obstacle : en effet le mariage accéléré (J est supposée pleurer Tyb : expliquez vite fait la situation de III et IV) va faire de J une bigame et elle ne veut surtout pas connaître une nuit de noces avec un autre que R (133/140): elle qui n'évoque pas souvent Dieu s'interroge sur l'action divine et elle se jette dans l'entreprise dangereuse de la mort simulée 141 malgré ses doutes et ses angoisses 147.



        3/QUE REPRÉSENTE-T-IL RÉELLEMENT? L'ANTI-ROMÉO : l'amoureux et non le passionné.

                -il aime incontestablement J, il est impatient de l'épouser 123; il a une attitude très digne à l'annonce de sa mort et comme il a respecté le code de la demande en mariage il pratique le rite qu'il faut rendre à "l'épouse" morte 167: il viendra fleurir sa tombe avec régularité. Et évidemment il ne comprend pas que R (qu'il croit être l'assassin de J) puisse venir profaner la tombe de son amour.169


                                  -c'est justement sa limite : il aime d'amour, il respecte tradition, code, il es incapable de comprendre une passion, même s'il meurt avec courage et dignité. Il devait assagir selon les Cap J...Vision bien religieuse et répressive du mariage. Il était un placement et un nouveau père ...


                                      -sans être nullement un repoussoir (choix discutable de certains metteurs en scène),  il fait pâle figure face à R et surtout à J. R pourtant ne le méprise pas, il l'accueille dans le tombeau, il lui promet une lumière donnée par J pourtant morte et lui tend la main.

                                       -sa mort le révèle : il est courageux et il meurt pour défendre la mémoire de J. Pas pour J.


cl : personnage secondaire, ignorant presque tout de ce qui se tramait (il croit R responsable de la mort de J!), agent involontaire de l'accélération des faits sur la fin et victime, il met ainsi en valeur le duo d'amoureux et son écart absolu avec un ordre social que lui-même symbolise avec noblesse (154) et sans doute fadeur.

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15 janvier 2008 2 15 /01 /janvier /2008 05:42



    SANS TENIR COMPTE des apports et des initiatives des metteurs en scène qui délaissent souvent les indications d'un auteur ou la logique de son texte, les objets sont pourtant  bien présents dans une œuvre théâtrale : chez W on aura les didascalies empruntées au Q1, les didascalies intérieures au texte (implicites), les objets désignés dans les dialogues et appartenant à l'univers réel mais aussi à l'imaginaire des personnages (le carrosse de Mab ou l'obsession du canon chez R).

    Traditionnellement sur scène les objets ont

    1)UNE FONCTION RÉFÉRENTIELLE: elle sera limitée chez WS pour plusieurs raisons.

            • Si  le théâtre élisabéthain multiplie à foison les accessoires, Sh n’en fait pas un usage immodéré : classiquement l’objet est un signe qui feint de donner rapidement des indications sur le réel supposé de la pièce. Toutefois le prologue de R+J parle tout de suite de “stage”/scène. Aucune confusion, aucune illusion durables n’est possible.

              Mais il faut tout de même un cadre de représentation, fût-il avant tout imaginaire.
                Ainsi un bourgeois qui vient en I,1 demander l’arrêt des rixes entre Cap et Mont en représente une cinquantaine et donc une cinquantaine d'armes et une partie active de la ville : la scène sh est économe en moyens et demande de l’imagination au spectateur.
                 Très modestement encore mais donnant tout de même une clé "morale" et politique en arrière-plan de la pièce, un objet circule discrètement : l'argent dont seront privés les musiciens et l'or poison que R donne à l'apothicaire...


                    • Ses références supposées à l'Italie ne sont pas envahissantes : W ne table pas sur la couleur locale, le pittoresque facile. Nous aurons plutôt des objets liés à telle ou telle catégorie : les armes des rivaux (à vous), les instruments des musiciens (156 sq), les flambeaux de la fête (mais on sait que le théâtre à Londres se joue en plein jour..), les éléments qui relèvent des serviteurs et cuisiniers (I,5=52/53=dressoir, tabouret etc). On saura que le sol est en roseau 48.

                    Le costume est parfois évoqué : Mer qui a des souliers de bal en cuir 47 dit que R porte des culottes à la française (81) et parle en III,1 de souliers et vêtements 98. On sait que Merc en vient à regretter que Tyb soit italien...ce qui est pour le moins curieux et affiche une belle désinvolture de la part de W.

    Cette dimension référentielle ne retient visiblement pas W.Il préfère souligner la



        II) FONCTION DRAMATIQUE : les objets ont leur place, leur rôle dans l’action et ses conséquences. Ils sont souvent  liés à l'idée de  contre-temps.

       • la communication est essentielle  dans la pièce et c'est elle qui permet la passion et la "condamne" : l'écrit, la lettre, le message ont une importance capitale dans l’évolution de la tragédie:

-l’invitation lancée par Capulet est transmise par un serviteur illéttré : R en prend connaissance. Beaucoup se joue là.Surtout quand on sait le contenu de la prémonition de R( à vous).

-après sa crise de rage à peine maîtrisée par Cap, Ty a écrit une lettre aux Mont, lettre qui inquiète Merc en II et n’est pas étrangère à son acte de défi en III,1.

-quand R est exilé à Mantoue Fl lui écrit ce qui va se passer : mais la lettre est bloquée (peste). La catasrophe se précipite.

-quand tout est fini la dernière lettre de R vient servir de pièce à conviction dans le jugement de Prince.


       => l'écrit provoque la rencontre, annonce le défi de Ty, provoque la mort de R et sert de preuve. Trajet complet.


        • est-il utile de souligner le rôle des armes voire des couteaux ? Elles défient (avec une fréquente connotation sexuelle), elles ferraillent, elle tuent et provoquent un enchaînement d’actions fatales. Dév (sans raconter) III,1 qui donne lieu à une tentative de suicide, retenue pour R en III et "réussie" pour J à la fin.

            • un objet joue un rôle actif, ambivalent et décisif : la fiole.
-l'une pourrait sauver le couple en contenant les herbes qui permettent  un simulacre de mort ;

-l'autre délivrée par l'apothicaire permettra une mort par implosion foudroyante. Elles ne sont pas pour rien non plus dans l'
ironie tragique.

Évidemment, et nous y sommes déjà, ce qui importe ce sont les


    III/FONCTIONS SYMBOLIQUES:


    • On ne saurait être surpris par la dimension théâtrale du monde : W en a fait un des postulats de son œuvre.

    Le masque est présent au bal des Cap, lieu du coup de foudre. On mesure vite que R va changer du tout au tout comme J, mais elle, plus discrètement : fuyant la comédie des êtres, ils vont toutefois garder un temps le masque social (le"manteau" de la nuit) pour préserver le secret de leur passion : en IV après un moment de révolte et pour entrer dans les plans de FL elle jouera la comédie de la fille obéissante et prendra même le masque de la morte...
    Plus caché encore semble Merc qui réclame un masque à l’entrée du bal. Il est celui qui a joué toute sa vie un rôle de composition avec le masque du jouteur verbal cynique que la mort lui arrache soudain. Le masque de la haine que portaient les familles tombe aussi (peut-être) avec la révélation de la mort des amants.



    • la haine, la mort et l’amour irriguent, innervent toute la pièce. Leurs tensions sont renforcées par des objets qui les résument:

            -l’amour est évidemment symbolisé par les cordes de l’échelle que R emprunte pour monter chez J et lui faire un adieu qui sera définitif (à la fois lien audacieux et signe de départ qu'on saura définitif). Le O de l’anneau a une place banale mais significative : il dit le secret de ce mariage qui transgresse toutes les lois et il est recherché par R à la fin quand il la croit morte : il veut en faire un usage très cher 168.

               
-la haine est condensée dans l’arme que l’on saisit très vite (inutile d'insister) mais l'amour fait aussi appel aux armes (on se souviendra que Cupidon et ses flèches sont très insistants dans la pièce). L’amour et la mort sont liés par un objet qui n’est pas sur scène mais hante le discours de FL et de Roméo: le canon, baiser de feu et de poudre qui se retrouve dans le poison de l'apothicaire. Il y a aussi (peut-être) de "l’extatique" dans le poignard quand J se tue.

    • l’ambivalence de tout (l’instabilité des choses, la réversibilité des objets et l'inconstance des êtres prisonniers du temps) est magnifiquement méditée par le discours théologique du FL
: son modeste panier contient des herbes qui ont deux capacités contraires, elles peuvent êre suaves et tuer. La fiole concentre, condense tout ce qui est (choses, objets, êtres). Celui qui est le mieux à même de comprendre cette ambivalence l'oubliera et en sera lui aussi "victime".En même temps pour R comme pour J le poison sera vécu comme un cordial 165/174 et non un poison.


cl : avec peu d'éléments, W parvient à donner une richesse dramatique et symbolique aux objets. Il le fait jusqu'au bout de la pièce. On promet  l'édification de statues. Elles seront  un élément qui symbolise la morale (?) de la pièce ou peut-être une morale à bon compte:  elles sont  aussi bien ambivalentes selon le regard qu'on leur accorde. Je vous renvoie à mon cours sur L’ÉPILOGUE.(III)

[Je gage que la pièce, le livre sont les vrais tombeaux des amants : livre qui ne donne pas des imitateurs comme R au début de la pièce imitait une attitude littéraire (pétrarquisme, euphuisme) ou des lectrices comme lady Cap' qui ne voit dans un livre qu'un objet de comparaison amoureuse (Pâris) dans une négociation de mariage.]



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11 janvier 2008 5 11 /01 /janvier /2008 05:23

AMOUR ET MORT

    L’Occident quand il représente l’amour est souvent hanté par son lien avec la Mort. Ses grands mythes en témoignent. Est-il besoin de citer Orphée et Euridyce, Pyrame et Thisbé que W mit en scène (pour s’en moquer) dans SONGE D'UNE NUIT DÉTÉ, Didon et Énée, Tristan et Yseut qui connaîtra son expression ultime dans l'opéra de Wagner. Sans oublier le couple plus modeste mais si important (Écho et Narcisse) que l'on entrevoit dans R&J.

    Occident qui de Platon à Freud s'interroge sur EROS ET/ou  THANATOS.

        Voyons ce que nous montre  R & J sur ce couple d'opposés qui ne le sont pas toujours. Le prologue nous avertit : il s'agit " Du cours d'un amour destiné à la mort" ou mieux "De l'effroyable cours de leur amour fatal". "THE FEARFUL PASSAGE OF THEIR DEATH-MARKED LOVE". Amour marqué au fer brûlant de la mort...


        I-LA PASSION COMME ÉLAN DE VIE QUI CHERCHE À ÉCHAPPER À LA "MORT" DES VIVANTS ET À LEURS CONFLITS:

        a)un idéal paraît discrètement dans la pièce : éliminer par l'amour, non la mort, mais ce qui mène à la mort réelle ou symbolique : la haine ou le commun.

        Songeons à l'étonnante déclaration de R, dès sa première apparition : dans le conflit des familles, sous la haine, il devine beaucoup d'amour 32/171. Peut-être que son amour à lui (qui ne s'est pas encore déclaré -il croit encore aimer Rosalyn) a cette ambition de révéler la part d'amour dans ce qui fait couler le sang à Vérone selon le Prince. Mais les choses changent avec J.

        Point complémentaire  : l’amour selon FL devrait réconcilier les contraires et mettre fin à la haine : cf citation que vous connaissez par cœur p 77 " C'est de changer....". Mais FL parle de pur amour (connotation fortement religeuse) et il dira plus loin qu'il y a une vanité de l'amour...humain 96. On sait que la conception qu'il a de l'amour est peu conciliable avec la passion de R & J même si eux aussi  défendent un pur amour mais aux élans peu compatibles alors avec le discours religieux.

    La présence de cette ambition de l'amour (ré)conciliateur est incontestable jusque dans la solution de la vivante faisant la morte (discours de FL 120v150/1) et c'est aussi au nom de l'amour que R veut expliquer à Tyb qu'ils ne doivent pas se battre: la part d'illusion ici est majeure.[ C'est le rêve ( magnifiquement) utopique d'un changement des autres qui s'aligneraient sur leur effusion à eux. Chacun est un peu vistime de Mab....]


        b) autre point : la vie des autres est perçue
symboliquement par le jeune couple comme mort lente, un sursis avant la mort (relisez ce que dit J quand elle oppose jeunes et vieux 91!! Les vieux font souvent les morts):l'éclair dont parle J a été fondamental.

    -R+J rejettent plus ou moins inconsciemment le temps des autres, l'amour dont parle avec nostalgie Cap (courir les souris 149), l’amour entendu comme négociation (à vous cf la déclaration de Cap'132 et les approches en I de sa femme), comme inscription dans un temps orienté d’avance, fléché, et finalement  répétitif (naissance, anniversaire, fêtes, accrochages chroniques entre "clans"). Même le fraternel Laurent condamne leur  passion, leur désir passionné au nom d’un amour sage 95.

        =>le temps  commun, celui du quotidien est vécu comme une mort lente.

        c) surtout ils vivent leur passion comme nouvelle naissance, comme négation de toute antériorité, de tout lignage : J demande à R renier son Nom, le Nom du Père (détachement symbolique très fort). Il s'agit d'instaurer une coupure radicale qui ouvre à un autre Temps, celui de la passion, l'Instant. Le couple s'invente même (certes de façon métaphorique) une nouvelle cosmogonie où l'ordre du monde est inversé, le temps transformé: les étoiles ont une luminosité supérieure au soleil....Un espace intérieur se dessine en chacun : l'autre aimé est intégré au "moi" de chacun, et ils ne peuvent penser vivre sans l'autre.

  =>  Est-ce à dire pour autant que la mort soit absente ? Non. Nier les autres ou ruser avec eux au nom de la passion est risqué et sur un autre plan J fait tôt l'hypothèse de sa mort (en rêvant que la Nuit découpe le corps de R en étoiles humiliant le soleil 108). Nous sommes pourtant à l'acte III, dans la nuit qui promet le premier contact charnel...

    C'est dire si


   II- LA MORT BORDE ET HANTE LA PASSION DES AMANTS :

la mort ici est immanente à la passion selon J. Kristeva.

        a) la haine, désir de mort de l’autre ou d’autres, peut surgir, même chez nos passionnés :

    -J promet à R de le tuer à force de le chérir 73 ; on a vu qu’elle demande à la Nuit de découper le corps de R pour en faire des étoiles : il n’est pas possible en tout cas que R lui survive....

    -J est d’ailleurs celle qui comprend le plus vite que la haine mortelle des familles est un aiguillon de leur passion.

    -surtout en III,1 R est repris quelques instants par la haine, par une passion haineuse qui lui fait oublier sa passion : il tue alors dans la famille de l’aimée (certains y voient une ruse de l'inconscient..). Ce qui déclenche tout.
Mais ce qui donne, après un instant de doute, une sorte de surcroît d’amour et de puissance de simulation à J qui devient comédienne des larmes..devant ses  parents. Elle arrive à faire croire que ses larmes pour R sont des larmes pour Tyb (cf son discours à double entente 128/9).Ils vont s'aimer dans la nuit sur fond de mort...

Plus troublant

        b) mort et amour sont associés très tôt par les deux amants:

Quelques citations :

    *du côté de ROMÉO :

-quand il est encore amoureux de Rosalyn, il parle comme un malade qui doit faire son testament 34;

-dans le même contexte il se donne comme un mort-vivant;

        * à ce moment on peut penser à une "comédie" sincère du mélancolique influencé par des écrivains.

            *mais on retrouve ce penchant dans sa passion pour J:

-avec elle, il dit préférer la mort à l'absence d'amour de J 67: c'est amour ou mort.

-plus curieusement au moment de son mariage,  il songe sans frémir déjà que la mort dévoreuse 95 peut lui ravir J : FL en conclut à une passion fascinée par l'Instant et il le sermonne.

-en outre alors qu'il n'est que banni, il tente de se suicider (la tentative de J n'est pas  du même ordre) nb 119 : il ne cesse de confondre exil (J à quelques dizaines de Kms) et mort 115. J sur ce point va dans le même sens : 112/v 125/6

-à  Mantoue il se rêve mort et ....ressuscité.


    * du côté de  JU

-avant d'apprendre l'identité de R (bal masqué), elle annonce que s'il est marié (c'est pire) "alors c'est dans la tombe que je serai déflorée".

- nous savons que pendant l'attente de R pour la nuit d'amour après mariage elle pense déjà à sa mort et souhaite celle de R 108

- après la révélation de la N, J ne peut envisager une infidélité (bigamie) à R : elle répète qu'elle préfère "que la mort penne sa virginité " 113

-quand J dit au revoir à R 126 elle le voit comme un mort au fond d'une tombe..

-la mort comme dernière  solution apparaît en fin de IV. 135


Faut-il comme certains aller jusqu'à parler de fascination morbide?

  C'est aller un peu vite. La difficulté d'analyse est à mettre au compte de la subtilité de W.

        Il faut tenir compte de l’énoncé et de son contexte : il y a chez les deux une rhétorique amoureuse qui, dans la passion, peut cultiver les formules hyperboliques :

        -124 évident : on joue sur partir et demeurer et R souhaite naturellement mourir pour prouver sa soumission à J et à sa passion. On peut parler de jeu amoureux, sans doute influencé par des lectures. Bien d'autres exemples iraient dans ce sens.

        -plus dérangeant : il est incontestable que d'autres passages vont dans le sens d'un élan fiévreux vers la mort annoncée : R va au bal masqué en ayant une prémonition sinistre. Il s'y précipite.

Et pourtant rien n'est simple parce qu'

        c) il est non moins incontestable que chacun tout de même lutte un temps contre la mort avant de s'y jeter:

    *surtout de la part de J :

-la mort pour elle, qu'elle redoute ou qu'elle souhaite, n’est solution que contre le mariage forcé ; évidemment elle a hâte de mourir, elle a un couteau en main devant FL, S'Il n'a pas de remède 141;

-à ce titre elle est prête à tout 141, elle accepte tout:

        -la mise à mort symbolique que lui infligent ses parents en fin de III (deshéritée, humiliée),

          -la simulation qui pourrait être (elle y pense un instant) un assassinat de la part de FL, qui pourrait mal tourner, et elle doit surmonter ses  peurs d'enfant 141 et ses fantasmes  148.

    C'est la mort de R qui la pousse à se tuer : son monde intérieur meurt avec lui et le monde extérieur n'a plus aucune existence alors. Surtout pas celui que lui vante FL (couvent). En même temps il est vrai que c'est elle qui a chanté la nuit, l'aspiration à la Nuit, antichambre d'une certaine Mort....



       *on doit admettre que le désir de R est aussi très complexe :il a, en certains instants, comme une espèce de hâte  mourir

    -et pourtant  il se  révolte contre les étoiles, contre le destin de mort qu'elles président, certes, il se bat encore contre le monstre avaleur, et quand tout est perdu, il veut ravir à la Mort le corps lumineux de J.


     -tout de même son dernier baiser est troublant : il  veut avaler le poison pour connaître une mort par implosion qui nous rappelle la jouissance explosive dénoncée par FL qui devine en fin de II que la passion de R est à la recherche d'un instant extatique qui mêle passion, destruction et auto-destruction......(passages que j'ai souvent cités et commentés : cf cours sur la mort de Roméo).Le point énigmatique est dans l'éclair 171 que R évoque dans ce caveau en parlant au cadavre de Pâris. Il se ravise, semble y renoncer.Mais l'image lumineuse de l'union brève mais extatiquement intense (jeu sur lighting / lightening) semble la vérité de son choix de mort. Serait-ce un éclair demeuré éclair?

             Pour Juliette non plus, on ne coupe pas à la psychanalyse  avec le couteau phallique qui donnerait une jouissance à J qui ne peut mieux faire s'unir la mort et la petite mort : même J. Kristeva va dans ce sens !(Voir le commentaire de notre traducteur en sa préface 16: hypallage de happy dagger)

    Disons alors que la privation de l'autre équivaut à une mort symbolique qu'il faut rendre réelle : beaucoup d'éléments de leur monde intérieur auxquels W nous rend sensible progressivement les préparaient à ce choix.


        III-l'APPORT DE W à cette dualité très ancienne (qui culmine dans le MILD UND LEISE de Richard Wagner et que Freud voudra théoriser).


    •a• Il montre la complexité inouïe des rapports entre passion et mort chez ses deux héros. Ces contraires entrent dans un jeu
instable où tour à tour ils se combattent, se défient, se rapprochent et finissent par s'unir sans donner une fusion. W a eu le génie de montrer que les amants allaient d'une certaine rhétorique artificielle à une expérience tragique et il a pu en exposer les contradictions. Il a surtout su montrer les contraintes extérieures qui pesaient sur le couple et le mouvement intérieur passionné qui le poussait. R&J n'est pas seulement une tragédie déterminée par une intolérance sociale : elle est, dans ces conditions particulières, une tragédie inhérente à la passion et à un vertige de puissance dont j'ai déjà parlé (rêve d'être empereur : autre cours).



    •b• Il reste qu' il est évident que W en reprnant le canevas légué par ces prédécesseurs  a sauvé les amants en les "tuant", ce qui a présidé à l'élaboration du mythe abondamment réécrit par le romantisme (musical en particulier).

    Quand une passion meurt, le couple survit dans le quotidien et le commun ou il se sépare. Ici la mort des amants met en valeur la force de la passion et nous aimons croire que seule la société est responsable de leur mort, le vert paradis des amours juvéniles étant préservé par la mort R s'accuse d'ailleurs lui-même d'avoir, par sa vengeance sur Tyb, " souillé l'enfance de notre joie" 118. Mais cette lecture gratifiante est discutable car trop sélective. La passion s'étayait, de façon complexe, sur la mort.


cl : sans forcément croire à cette détermination, W nous avait donné un indice symbolique précieux auquel il tenait visiblement: il a voulu insister sur la date d'anniversaire et d'engendrement de J: elle naît en pleine canicule, ayant été engendrée le jour d'Halloween : vie poussée à son excès de chaleur, vie née dans le retour des spectres ..L'excès passionné s'alimente aux sources de la mort et de la vie.

Ce n'est pas hasard si J au moment d'adieux qui seront définitifs parle d'un météore..124


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9 janvier 2008 3 09 /01 /janvier /2008 17:12
Situation avec rappel supersonique :Mantoue, exil, contretemps du message de Fl qui n'arrive pas, retour précipité qui prend tout le monde de court. R vient de tuer Pâris sans savoir qui il était. Nous sommes dans le caveau des Cap'.

    I-LE COMBLE DE L’IRONIE TRAGIQUE :

    • au coeur d’une tirade  dominée par le temps présent, tirade  à la fois chaotique en apparence (il s'agit d'exprimer l'émotion: il dit en même temps que J est lumineuse et que la mort veut la garder pour elle (lui) dans le noir) et très contrôlée par le dramaturge où se mêlent de façon inextricable:

-l’élégiaque avec nombres d' invocations (on compte plus de O(h) en anglais) et d' interrogatives,
-le pathétique (sa situation, son besoin de parler à des morts et même à la mort )
-l’allégorique (mort personnifiée),

    W reprend ce qui faisait partie de la tragédie grecque mais il en souligne les effets en multipliant les signes=>


    • ironie dramatique : au sens où R ne sait pas ce que nous savons (le plan de FL: mort provisoire, réveil prochain de J);

        -ici le cas est flagrant : J lui semble échapper à l’emprise de la mort, elle est toujours belle, elle n’est pas conquise, la mort n’a pas hissé son étendart blême : et pour cause ! J est en train de renaître [ le film par des coupes dans le texte rapproche encore plus la seconde].


    =>au service  de


    • l'ironie tragique :

-ils ont avalé tous deux des préparations, l’une de mort simulée et l’autre de mort soudaine. Selon le changement permanent dans la pièce, l’échange des contraires va avoir lieu : la "morte" redevient vivante, le vivant sera mort.
-J qui rêvait que leur amour se détache de toute lignée pour créer un couple sans origine se retrouve près de renaître dans un caveau des Cap. où son amour va mourir.
-tout tient à quelques instants (décalage de quelques secondes): le  Temps dans la pièce est fait de ces écarts, de ces ruptures , de ces  trop tôt ou  trop tard.


      -effet de construction : finir sur " with a kiss I die" quand tout a commencé par là, au bal masqué. Quelques vers avant 114 il est question d'un "pieux baiser"... de pélerin ....57

Voyons encore un élément qui participe de l'ironie tragique:


    II-UN ULTIME VOEU D’ÉCHANGE : un monologue hanté par le dialogue.

        • le lieu : le caveau des Cap ,en compagnie du cadavre de P, de Tyb et la morte supposée, J
[-note en passant su l’espace de R : il est très souvent chez les Cap. Il aime une Cap, Rosalyn ; il va chez eux au bal; puis dans le verger; dans la chambre de J:
    -sinon il n'est  jamais vu, présenté  chez lui : on le sait dans les sycomores à l'aube, dans la rue au début, chez FL souvent, à Mantoue. Il finit donc où il a passé le plus de temps , chez les Cap.]
         Caveau qu’il a ouvert violemment 169 en termes significatifs: la mort personnifiée (mâchoires pourries, panse). Lieu vécu comme ventre d'ogre, avaleur monstrueux. Ce lieu n'a rien de sacré. Ce qu’il est pour Pâris 169 (profanation).

    Voilà l'espace de la séparation absolue dans lequel il converse beaucoup.

        • il n’en veut à personne et montre beaucoup de générosité avec d’anciens “rivaux”:

-il demande pardon à Ty (forgive me, cousin: il reprend les termes de la parenté) auprès duquel il va reposer et rachète son geste en se tuant de la main qui tua son nouveau parent. Il se livre à une sorte de talion à l'envers.

-il est très digne avec Pâris: il tend la main à son cadavre, se reconnaît un destin commun d’infortune et lui promet de partager le tombeau de celle qui aurait pu être son épouse. Plus qu’un tombeau, il lui promet  une lanterne au sens architectural (édifice éclairé par un dôme vitré). IL prétend même que Pâris connaîtra l’éclair bienheureux et allégeant (lightening) que les gardiens croient deviner chez les morts.

-il parle longuement à J comme si elle était vivante (le cas), l’embrasse, l’étreint une dernière fois, boit à son amour et meurt pour la rejoindre.

    Le caveau, avant le suicide  est vécu comme l’espace de la réconciliation. Union  avant la mort et contre la mort.


    III-LA FIN DU VOYAGE, la mort du pèlerin,

     • depuis le début de la pièce, W file une métaphore extrêmement commune prise au moins dans Pétraque (mais qu’on rencontre bien avant) qui devient presque une allégorie:celle de la vie comprise comme voyage.
        -son nom, rappelons-le désigne le pèlerin au sens religieux.
        -dans la scène du baiser, il joua le pèlerin d’amour.
      -avant d’entrer au bal, après l’évocation de sa prémonition (exacte) de mort, il s’en remet au timonier qui dirige sa voile 51. Avec Ju 68 (balcon) il n’est pas pilote mais veut aller loin sur le océans  pour rapporter un butin comme elle.
     -ici, il appelle (viens /come) le timonier, guide amer, répugnant (ou nauséeux) nocher (Charon des enfers mais le traducteur ajoute cette référence), pilote désespéré et lui demande de précipiter sa barque (fatiguée des houles de la mer/malade de la mer), d’un seul élan sur le roc écumeux.

     Celui qui guidait la barque nommée R doit la fracasser sur les récifs. Que le poison soit le guide, le pilote du corps-barque. Le héros attend une mort violente : on va voir qu’il veut une explosion et un engloutissement.

         -que fait-il alors ? Selon le texte et une didascalie (du quarto I), pour une dernière fois, il regarde J, l’étreint, l’embrasse, s’écarte et met ses lèvres à la coupe qui contient la fiole de poison. Deux baisers : à J, à la coupe.

        -il boit alors après avoir dédié son geste “here’s to my love” (traduit par amour ou aimée). Mais  ses derniers mots sont pour l’apothicaire qu’il remercie d’une certaine manière...: ainsi, grâce à toi,

            THUS WITH A KISS I DIE

            SUR CE BAISER JE MEURS (VB)
OU/AINSI DANS UN BAISER, JE MEURS (FL)/SUR  UN BAISER JE MEURS (YB)./EN UN BAISER JE MEURS (PJ J).

L’ultime baiser d’amour est le moment de l’entrée dans la mort...éternelle.La nuit éternelle désirée.

        • quelle mort ?

-un rejet de la vie matérielle: il attend une libération du corps (chair lasse) et en se défaisant de l’enveloppe charnelle, il pense mettre fin au joug des étoiles hostiles qu’il a défiées peu avant à Mantoue et dont  nous savons tout le poids d’après le prologue I (a pair of star-crossed lovers). Son adieu s’adresse au corps (yeux, bras, lèvres), à la matérialité des êtres.Tout en voulant partager la vie des vers, serviteurs de J.


- un combat et un contrat (bargain) avec la mort.

        -le combat:  il pense dans un accès de jalousie que la mort sans substance, décharnée/immatérielle, veut être l’amant (death est du masculin en anglais) de J: cet odieux monstre ne la garderait que pour lui. Il va rester à ses côtés, dans la nuit éternelle et la servir pour la défendre. Immatériel, débarrassé de son corps, il veut battre l'immatérielle mort. On note que chez lui rien de religieux ne transparaît.


        -un contrat avec la mort qui passe par un baiser ultime.Quel baiser?

Repartons. La fiole qu’il boit a des propriétés bien définies :

    -l’effet devait être foudroyant 163: il l’est 172
   -il fallait que la victime volontaire 163 connaisse un moment particulier :
                                    let me have
        A dram of poison, such soon-speeding gear   
        As will disperse itself through all the veins   
        That the life-weary taker may fall dead   
        And that the trunk may be discharged of breath   
        As violently as hasty powder fired   
        Doth hurry from the fatal cannon's womb.
 
        ET EXPULSE AINSI SON SOUFFLE HORS DE SA POITRINE/EN UNE EXPLOSION AUSSI VIOLENTE QUE LA POUDRE/QUI CRACHE LE FEU DU VENTRE DU CANON MEURTRIER.(FL, notre traducteur)

    *autre traduction (V.B.):

        ET QUE SON TRONC SOIT DÉCHARGÉ DU SOUFFLE
        AUSSI VIOLEMMENT QUE LA POUDRE RAPIDE ENFLAMMÉE
        SE PRÉCIPITE HORS DE LA MATRICE D’UN CANON.

Mourir comme si feu et poudre venaient du ventre, de la matrice qui donne naissance et mort en même temps.

    R veut mourir en implosant: se rappeler qu’il a cru que son NOM avait tué J comme un obus tiré de la gueule d’un canon 119.
        as if that name,/shot from the deadly level of a gun (C’est comme si ce nom / Tiré à bout portant de la gueule d’un canon la tuait //ou// l’atteignait de plein fouet).

        Boire, embrasser les lèvres de J et celles de la coupe c’est donc subir le même destin. Devenir canon tourné vers lui-même, s’auto-détruisant.
        Nous retenons poudre enflammée (powder fired) car Fl a eu alors un énoncé capital quand R lui a parlé de l’avenir de son amour un peu avant son mariage.

ROMEO
        Do thou but close our hands with holy words,   
        Then love-devouring death do what he dare;   
        It is enough I may but call her mine.   

        JOINS SEULEMENT NOS MAINS PAR DES PRIÈRES,
        ET QU’ENSUITE LA MORT DÉVOREUSE D’AMOUR EN FASSE                                     À SA GUISE,
        POUR MOI C’EST ASSEZ DIRE QUE JULIETTE EST À MOI.

Nous sommes dans un énoncé sans rage, sans emportement : une façon de dire sa joie.

        Perce chez R un désir d’union apparemment sacrée (mains jointes bénies par des prières), d’une brève minute: ensuite la mort (déjà personnifiée comme dévoreur (ogre)) peut faire ce qu’elle/il  veut (THE death do what HE dare). On comprend que sous cette remarque se dégage une passion de l’Instant : un instant doit tout consacrer et suffire à vaincre toute privation de l’autre.. Apparemment rien de rare : et pourtant voyons ce qu’entend, le père, comment il l’interprète comme s’il devinait un désir latent:

FRIAR LAURENCE   
        These violent delights have violent ends   
                Ces violents plaisirs ont une fin violente
       And in their triumph die, like fire and powder,            

          Ils meurent lorsqu’ils triomphent, comme le feu et la poudre
         Which as they kiss consume: the sweetest honey   

                 Explosent en s’embrassant.(...)

        Is loathsome in his own deliciousness   
        And in the taste confounds the appetite:   
        Therefore love moderately; long love doth so;   
        Too swift arrives as tardy as too slow.

Le père semble défendre une conception de l’amour opposée à la passion dévorante et désireuse de sa propre fin. La passion selon lui et toute la tradition de sagesse et de sagesse religieuse annonce la fin de l’amour. Mais W anticipe et va plus loin :on doit deviner qu’il y aurait chez R un goût de l’extase qui équivaudrait à un instant unique mais comprenant aussi  une destruction. Ex/tase et mort. Jouissance et violence, jouissance violente. Embrasement d’un instant, conjonction unique d’ÉROS et THANATOS.

Ce qu’il attendait de l’amour et qui effrayait le père, ce qu’il n’a pu connaître que dans la nuit de l’acte III, il ne l’obtiendra qu’avec la mort. Le baiser résumant tout - métaphoriquement....



cl: un texte qui par sa longeur, sa complexité tranche sur la décision de J de mourir qui va venir dans quelques secondes.Texte riche qui montre combien la trajectoire dramaturgique de R a été pensée par W.



••••••••••••••••••••beau sujet d'entraînement•••••••••••••••

Quelles différences faites-vous entre R & J ?









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8 janvier 2008 2 08 /01 /janvier /2008 08:53
Nous nous appuierons largement sur le travail de P-L Assoun. cf Biblio.

      

    Nommer a toujours été une question délicate qui a intrigué philosophes et théologiens. Quel rapport établir entre un nom commun et une chose (cf le CRATYLE de Platon) et, plus difficile encore, entre un NOM et une personne. Sans remonter trop haut le contemporain de W,Montaigne (qu'il a  sans doute lu) a lui aussi médité sur ce point.

    Un tragédien ou un romancier peut choisir des noms et des prénoms et leur donner des valeurs ou des connotations que la pièce ensuite vient motiver.

    Dans R & J, les noms de Cap et Mont, les prénoms de R & J ont une importance fondamentale.QU'Y A-T-IL DANS UN NOM /WHAT'S IN A NAME? demande J. C'est bien le problème.

    1/NOM ET PRÉNOM NE SONT PAS FORCÉMENT ARBITRAIRES DANS LA PIÈCE : il s'en faut.

    WS choisit ses personnages et leur attribue nom & prénom pour des raisons variées .

    • certains personnages seront sans nom ni prénom, ou bien seulement des prénoms ou encore seulement des noms:une petite combinatoire est en place=>
 
-la N, l’apothicaire:pas de nom.
-des serviteurs n’auront que des prénoms: Pierre, Grégoire etc
-les parents n’auront qu’un nom : Lady Cap etc.
-le nom de famille est rarement accolé à R et J -et pour cause. Quand ils le sont c'est pour des raisons cardinales.

    • les prénoms prennent  souvent aussi une signification :

- Tybalt est sans cesse associé au chat 79 par Mercutio, à cause du Tybert du ROMAN DE RENART;
- Juliette est jewel et sa naissance a eu lieu au moment de la canicule, Juillet.
- le nom de Benvolio dit son "être" : homme du juste milieu, de bonne volonté.
- Mercutio a le vif-argent du mercure et ressemble de loin au dieu Mercure devenu parfois en Angleterre patron aussi des bonimenteurs.

    • un prénom subit un traitement qui retient l’attention :R

-il signifie en lui-même le pèlerin et on aura la scène du baiser du pèlerin d’amour.[entre nous ce pèlerin ne profite pas vraiment de son seul déplacement à Mantoue: son seul pélèrinage sera l’amour : il propose d'ailleurs à J de le débaptiser et de lui attribuer le nom d'amour :" Call me but love")
-Mercutio joue sur ce prénom en accueillant sarcastiquement : “Vidé de sa laitance (roe), aussi sec qu’un hareng” 80; d’une autre façon la N s’interroge aussi sur ce prénom en l’associant au romarin (symbole de fidélité) mais en refusant de croire (par confusion) que R s’associe aux chiens et au derrière (90).

    Mais jusque - là on ne peut dire que W  se détache d'autres  créateurs. Il va aller beaucoup plus loin en faisant du NOM propre la question centrale de la pièce.



    II/LE NOM :ce qui détermine un être, doublement.

        • socialement : à Vérone, deux familles dominent et se battent de plus en plus fréquemment pour des raisons anciennes presque oubliées. Le nom de Cap ou Mont oblige chaque être à se déterminer: les serviteurs de I,1 qui ne sont que des employés font corps avec la famille et son nom : ils sont acquis à une haine de l’autre nom qui n’a, en fait, aucune raison d’être. Que R soit au bal des Cap rend furieux Tyb : cette présence est un défi et une insulte. QU’IL FAUT RÉGLER DANS LE SANG. Le NOM est alors celui d’une famille, de ses valeurs, d’une histoire.Le Nom nous devance, nous surplombe, nous engage - plus ou moins. La tragédie va le montrer.

        • symboliquement : le nom est alors le NOM-DU-PÈRE (auquel tiennent tellement les psychanalystes, depuis Lacan).Simplifions outrageusement : le père c’est la filiation, c’est dans la logique d’une longue époque [qui finirait (?) avec notre siècle], ce qui détermine (-nait peut-on parler au passé? Vaste débat), la loi des Pères symboliques, leur marque, leur emprise sur tout l’être d’un individu.

            • le drame de R & J se  noue au moment de la révélation des noms, après le baiser du Bal : elle est une Capulet, il est un Mont. Le nom de l’ennemi  dans la haine duquel j'ai été élevé fait partie de leur amour.(cf infra)

Voyons alors

    III/LA DEMANDE DE LA PASSION :fondamentalement, elle passe par le nom.

        •J dans la scène du balcon,à peine quelques quarts d'heure après la scène du baiser et avant qu’elle ne se sache écoutée, lance un appel profond qui prouve combien elle a conscience tôt du problème et combien c’est elle qui engage la passion sur une voie très particulière.

            Ô Roméo, Roméo, pourquoi donc es-tu Roméo?
            Renie ton père et abdique ton nom.
            Ou, si tu ne veux pas, jure d’être mon amour,
            Et moi je cesserai d’être une Capulet.

Plus loin:    Il n’y a que ton nom qui est mon ennemi:
            Tu es toi, même si tu n’étais pas un Montaigu.

    Elle a une position disons vite nominaliste (mon collègue de philo me conteste à juste titre ce mot employé ici de façon abusive mais pratique) : selon elle c’est par arbitraire qu’on nomme une personne et l’être de R ne se définit pas par son nom: telle partie de son corps n’est pas Montaigu mais une singularité hors des noms, des mots 65. R peut la prendre toute entière (take all myself) s’il abdique son nom. Échange : séparation du nom rejeté(v 90) contre corps. Pour aimer avec de nouveaux mots et un corps sans l’emprise des autres. Pour un nouveau lien. Contre le déferlement de haine qui pèse sur nom et corps.

    J va très loin dans cette coupure avec le Nom puisqu'elle inclut aussi le prénom, dette  également due aux désirs des parents...Rejet de nom et prénom.

        =>R adhère pleinement à cette proposition :

-si elle l’appelle amour, il sera baptisé à nouveau, autrement dit connaîtra une nouvelle naissance 66: un autre nom qui met à mort celui du Père (à retenir pour la question de la génération de la passion).
-il dit haïr son nom 66 et s’il était écrit, il serait prêt à le déchirer (geste incroyablement fort).[ N’oublions pas en passant qu’en III J “souhaite” indirectement la mort de ses parents]

        • au plan dramatique le nom joue un rôle complexe mais radical :

-un temps R oublie Ju (prouvez-le) et veut venger Mercutio. Les raisons sont multiples et très complexes (autres cours) mais assez vite il va mettre en cause son Nom:
        -en effet plus loin dans la pièce, quand il a tué Ty , quand il a conscience d’être une seconde retombé dans les "griffes" du Nom, du clan il déclare au Frère, avant de tenter de se tuer:

                            C’est comme si ce nom,
        Tiré à bout portant de la gueule d’un canon,
        La tuait
, comme la main maudite qui porte ce nom
        A tué son cousin. Oh!dis-moi, Frère, dis-moi
        En quel misérable endroit de mon corps
        Loge mon nom
? Dis-le moi pour que je mette à sac
        Cette maison que j’abhorre
.

    Le Nom est en lui, le détermine à tuer : Tyb. Avec un poignard il veut extirper le lieu du Nom. Il assimile métaphoriquement corps et maison qu’il veut fouiller pour énucléer ce qui le poussa à agir. Je me tue pour l’avoir tuée.

    On mesure qu'à vouloir effacer le Nom, il a fait retour avec violence.



        • passion et Nom: quel était le sens de la  demande de J? ASSOUN nous aide beaucoup ici.

    Au sens réduit elle voulait réunir dans le mariage deux noms qui abolirait les haines.Option de FL.
 
   La demande est de J est beaucoup plus forte: elle voulait créer un couple sans passé, sans attache, hors Loi (des noms, des conventions) et qui n’aurait que sa loi passionnée comme LOI ou comme règle du jeu amoureux bouleversant tout. Ce qu'Assoun nomme le contrat passionnel. N’ayant de compte à rendre à personne.
    J voulait transgresser l’ordre des temps, des filiations, des noms, des interdits. Elle demande à R de la suivre hors la loi des pères, des familles même si elle trouve le mariage comme instrument, moyen d’échapper aux clans.
-je le dis ailleurs: il était normal qu’elle accepte non sans crainte de mourir ( sommeil) et de ressusciter: elle allait connaître une deuxième naissance, hors les Noms.

       PL Assoun va plus loin en expliquant le désir “fou” des amants : en apprenant le nom de l’autre, le coup de foudre indicutable (coup d'œil et baiser) se renforce et devient passion : le  désir tient certes à la révélation du bal masqué mais aussi à la “folie” de vouloir se passer d' ascendants, d'en renier du moins le nom et tout ce qu'il implique : les noms sont obstacles mais en tant que tels ils sont aiguillons du désir passionné.

    Le nom est adversaire et allié de la passion. Il la crée largement. Avec de graves conséquences. Ainsi R à Mantoue a perdu tous ses repères symboliques avec joie et se trouve loin du Père (L) seul guide spirituel et non père de sang. Il ne peut vivre sans J, sa seule Loi.


CL: J voulait non seulement que R abdique son nom mais aussi son  prénom : dans la scène du "balcon" elle prend tout de même plaisir à appeler son amant "doux Montaigu" et à jouer sans cese avec le prénom de Roméo (cf entre autres p 72,v206).

    Finalement les prénoms l’emporteront à jamais : il est dans le titre (le donner en entier) et dans les derniers mots de la pièce qui font chiasme. Les prénoms ne s’imposent-ils pas  mieux que des statues en or?
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6 janvier 2008 7 06 /01 /janvier /2008 09:35
    *
[je vais utiliser des mots (contraires, opposés etc) qui feraient hurler un logicien par cet emploi scandaleux d’approximation. Tant pis. Mais le logicien hurlera avec raison.]

    Pas de tragédie sans conflit et sans contraires qui s’affrontent, quelles qu’en soient la nature et la forme.

    1/LES CONTRAIRES sont OMNIPRÉSENTS DANS LA PIÈCE et à dessein    :
   
        • les contraires naturels sont souvent évoqués dans la perspective de l’alternance cyclique ou pas : les plantes, leur maturation, leur mort, le jour et la nuit, leurs astres.
                -au sein du Temps on voit nettement s’opposer les parents âgés et la jeunesse turbulente (Tybalt vs Cap) et fondamentalement naissance et mort sont évoqués partout et très tôt.
           -certains éléments naturels (et, en partie donc, surnaturels) ont un pouvoir selon le dire de certains personnages, à commencer par le coryphée : les astres entrent en conflit avec les hommes pour contrecarrer leurs ambitions, leurs rêves (”star-crossed lovers (à vous, Clara)+ death-marked love).

            • au plan des sentiments, le couple d’opposés qui crée le conflit permanent à Vérone est celui de la haine et de l’amour (à vous, vite fait): haine qui ne structure pas seulement Cap vs Montaigu mais aussi  l’apparente haine de l’Idéal voire de la Terre chez Merc (selon Benv), rejet du corps chez Rosalyn.

        • au plan “politique”, ce qui inquiète le Prince c’est l’opposition entre l’ordre civil qu’il doit retrouver et le désordre irrationnel des passions haineuses.


        =>en somme rien d’original  a priori mais un souci de tout faire converger vers cette logique des contraires. On a en outre sur scène un penseur de l’affrontement des “princes”(principes) ennemis en l’homme (75), FL: il  pense d’abord à la Terre comme tombe et matrice, ventre (rime capitale aux v 9/10: tomb/womb). Point nodal lié à sa théorie de la fleur ambivalente: elle guérit et peut tuer aussi. Conflit intérieur aux choses mais surtout aux êtres : ceux qui doivent bien manipuler les plantes aux doubles effets contradictoires et,  prioritairement, les hommes qui doivent suivre la pente du Bien. Fl est presque porteur d’une pensée de l’être divisé, déchiré, voire ambivalent par la faute sans doute du péché originel. Mais lui n’est pas un penseur tragique, car à ses yeux  l’amour doit pouvoir l’emporter facilement. On verra que la vie est plus compliquée. Le Bien divise aussi.

    II-LES CONTRAIRES STRUCTURENT TOUTE LA DRAMATURGIE DE LA PIÈCE

        a)le conflit apparent : la haine entre les deux familles. En réalité, la haine pousse les familles à se ressembler et leur donne depuis longtemps un semblant d’identité qui descend jusqu’aux valets. Le cycle de la violence a repris selon le Prince et peu à peu sa famille même est atteinte.
        Le conflit donne alors les scènes d’action, dans la rue : à vous. Le Prince survient à chaque fois (début-milieu-fin)
        Il faut pourtant noter que les familles sont lasses du moins chez les parents (Cap est conscient des qualités de R, il le dit à la fête) et, hormis Tyb, nous sommes dans un conflit figé qui se déclenche  presque de façon automatique. L’origine du conflit a été oubliée et on se bat sans raison objective.
        On observe même des conflits internes aux camp: Tyb se révolte d’abord contre son oncle...C’est l’humiliation que Tyb subit au bal masqué qui provoque la mort de M etc...

        b) le conflit dominant : la passion vs l’ordre social, familial (cf cours sur amour et passion : ce sera plus précis).


        Disons hyperboliquement que le conflit tragique par excellence  se situe entre le désir d’infini & le fini. Conflit qui selon Northop Frye  touche chez W trois types de pièces, celles de l’ordre, de la passion et celles de l’isolement.

        Point par point il est facile d’opposer ce qui appartient aux amants et  ce qui tranche sur l’entourage proche ou civil.


        -R et J ignorent l’amour “transaction” des parents (Pâris);leur amour n’est pas un investissement. J a une phrase extraordinaire dans son "hymne à la nuit" : elle parle de qui perd gagne. Certes il s’agit de virginité mais l’enjeu est plus vaste : la passion de J est une perte et un gain. Une dépense folle comme gain infini.

        -le duo vit dans l’instant, dans l’improvisation (ce qui ne veut pas dire l’inconscience, J est une grande calculatrice) les autres  restent  dans un temps ample, répétitif (violence, querelles, fêtes anniversaires); le feu, l’embrasement dont parlent les amants s’accordent mal avec le temps léthargique des parents seulement réveillés par des accès de haine....ou la volonté de reproduire à l'identique un modèle qui passe de génération en génération.

        -le couple franchit toutes les limites en secret et fonde sa loi sur l’absolu tandis que les parents respectent une loi commune faussement loyale.
                -certes leur mariage est religieux mais pour des raisons de stratégie et non pour une foi fervente ; J idolâtre R dit-elle, ce qui est peu chrétien... Ils ont joué avec le code religieux pour dire implicitement leur amour naissant (le baiser) etc...


        Sans juger les amants, W montre la puissance de cet amour et son ambition secrète. Celle qui nous fascine encore et toujours car elle est rarement accessible.

                c) le rêve de la passion :

        -songeons à la phrase absolument sidérante de R au début de la pièce : 32 “Il y a beaucoup de haine mais encore plus d’amour”. Dans les querelles entre familles ! On dirait bien le disciple de frère Laurent. Cet “encore plus d’amour”/ “but more with love” est l’enjeu de la pièce.

         - profondément les amants pensent pouvoir sinon abolir les haines du moins les concilier en montrant une union possible. Il songent réorganiser - au moins pour eux et ensuite par eux - ce qui ne correspond pas à leur idéal de” true love”, d’amour pur. Et là, ils souhaitent résorber les contraires sans les détruire et en faire une harmonie .


        -mais en touchant à l’ordre commun, à la société,  ils veulent aussi métaphoriquement  toucher à l’ordre cosmique. La nuit de R voit en J un soleil levant ou des étoiles qui font pâlir les étoiles 65; en parallèle, J se voyant morte imagine le corps découpé de R devenu étoiles qui tromperaient et feraient croire au soleil ; en outre, elle dit qu’il est le soleil de sa nuit.

        Rêve de monde inversé, intégrant les opposés pour les rehausser sans conflit. Monde nocturne essentiellement, qui porte lumière.

             Rêve bouleversant que chaque spectateur veut faire sien : mais c’est un rêve et le pèlerin va trouver des récifs dangereux. Par exemple, R redeviendra en partie et très brièvement un Montaigu.

        En outre la passion est bordée par son contraire et son complément, la mort. Dans cette passion comme le remarque vite  FL, il y a un  désir exacerbé qui touche au désir de mort.  D’embrasement. De rencontre de feu et de poudre.

    III-COMMENT DIRE ET MONTRER LES CONTRAIRES : UNE ESTHÉTIQUE ET UNE PENSÉE DU CONFLIT.

avec
    a) une rhétorique :[je corrigerai cette partie : doutes]

-on observera que chez les héros on ne trouve pas de dilemme (J a des doutes en III mais ils ne durent pas).

-la pièce multiplie les oxymores chez R et J (justement en III quand elle semble maudire R) mais souvent pour en montrer le trop grand artifice, l’héritage de la tradition pétrarquisante qui fausse l’amour et en fait quelque chose de livresque : que la conviction  de Sh soit  parfaitement de cet ordre (le monde est bien pour lui INFORME CHAOS FAIT D’HARMONIEUSES FORMES 33), oui, mais il veut EN DRAMATURGE rendre une tension et non en faire un discours virtuose juxtaposant  des opposés  éclairants mais secs. Osons : l’oxymore  fait synthèse et bloque toute action.
-il me semble (peut-être à tort) que W  préfére ICI les antithèses  qui sont  la forme dynamique du conflit ( songeons aux quatre vers décisifs de J p 59 (MON UNIQUE AMOUR...): ce  qui ne l’empêchera pas d’utiliser le chiasme par exemple non pas uniquement comme figure de rhétorique  mais dans des structures scéniques forcément plus vastes.




    b) dans la scène, dans l’acte, dans la pièce nous mesurons l’étendue d’une esthétique du conflit entre les opposés:

        • une évidence (à vous, avec d’autres cours) : le mélange des registres contraires, des genres, des niveaux de langue (bas, relevé), des vers et de la prose:

        Isolons ce dernier point. On trouvera aussi bien
                    - une forme-cadre comme le sonnet (prologue + baiser de R +J) avec rimes évidemment (dans une composition différente de “notre” sonnet) : malice de Sh  qui utilise le sonnet pour dire l’amour naissant (baiser du pèlerin), la solennité du prologue mais aussi la pression très  suspecte de Lady Cap sur J dans la métaphore filée du livre I,3.
                    - des tirades significatives avec rimes : quand Cap au début s’entretient avec Pâris ; Benv souvent; Fl et son panier ou dans la suite dans le dialogue avec R (II,2)
                    - des vers  blancs dans des tirades comme celle de  Mab de MercutioI,4; ou le grand dialogue du balcon;
                    - des vers qui parfois riment à quelques moments significatifs : le Prince (III,1);
                    -ironie: les chansons de Merc (un feu d’artifice de paronomases et de grossièreté carnavalesque) et de Pierre le serviteur riment...


                    - mais on ne saurait oublier  la prose pour signifier le milieu de Grégoire et Samson, du valet Pierre (analphabète) et des musiciens ou de la N ou même pour dire la mort par Mercutio.
                            *mais la N utilise le vers  en II,4 presque en même temps que la prose.

            Cette pratique est absolument impensable dans d’autres esthétiques de la tragédie.  C’est une nécessité pour W.

         •voyons quelques cas de construction:

*dans la scène on aura souvent l’opposition de deux points de vue qui débattent plus ou moins violemment:
                -Merc ironise toujours sur l’amour de R qui lui réplique souvent dans des joutes plus profondes qu’il n’y paraît.
                -Fl tance durement R en III quand ce dernier ne veut pas ouvrir les yeux sur la chance qui lui donne l’exil.
              -J doit affronter en fin de III la la violence de ses parents.
                -plus subtil : W n’hésite pas à montrer des différences entre R & J : le rapport aux mots n’est pas le même, pas plus que  le rapport à l’espace dans la scène du balcon par exemple. Mais ici les différences se complètent.
   
*dans la structuration de l’acte : pensons à III. Nous avons une magnifique succession de juxtapositions qui jurent entre elles mais s’éclairent crûment, se rehaussent.

    -aux extrêmes de l’acte  : la violence physique et verbale (Mer, Tyb, Roméo), à l’autre bout, la virulence des parents qui songent à mettre à mort SYMBOLIQUEMENT leur fille en la reniant, en la déshéritant.

    -en parallèle (III,2/3) la réaction violente des amants séparés : entre eux apparaissent des ressemblances frappantes (variations sur l’exil comme mort) mais aussi des différences.

    -entre tous ces différends, deux scènes de merveilleux lyrisme qui éclairent le tragique du reste : attente de la nuit, dernier adieu avec les oiseaux qui symbolisent aussi une opposition.



*dans la composition de la pièce : regardons seulement quelques aspects :

    On sait que W aime attribuer des phrases capitales à des personnages qui ne sont pas forcément  de puissants “penseurs” : Cap touche quelque chose d’essentiel avec sa phrase IV,5 :

     ET QUE TOUT DÈS LORS SE CHANGE EN SON CONTRAIRE 
        (And all things change them to the contrary)

    La pièce est celle du conflit et du changement : on y rêve d’un changement qui atténue ou harmonise les contraires. Ici tragiquement, c’est le contraire qui se change en son opposé, DÉFINITIVEMENT.

    Dans un simulacre, la fête devient enterrement. Plus tard la haine va en effet se transformer en amour, à la fin;  pour cela il aura fallu la mort comme “solution” à l’élan de vie des amants...


      Examinons un autre aspect de la composition :R& J à leur première rencontre jouent sur l’équivoque (voulue, entretenue) du mot  “sainte” : sainte bien vivante et statue de sainte : par le baiser accordé, elle n’a plus rien d’une sainte sculptée.. Toute la pièce va montrer dès lors que J et son amour sont un éloge de la vie et une lutte contre les obstacles. À la fin après avoir connu une mort simulée et une mort provoquée, elle deviendra une sainte en or, une statue ...(Ironie tragique selon moi mais pas pour d’autres lecteurs)

        Pensons aussi à l’obsession du Nom : derrière le rejet violent  du nom se cache en J un rejet de la filiation, le souhait d’une naissance autre : en toute logique, il était nécessaire alors de la voir mourir de façon simulée et ressusciter ...

    Admirons enfin le dernier signe de composition circulaire : à la fin de la pièce, le Prince clôt la tragédie en citant les prénoms de J et R : le titre de la pièce était LA TRÈS EXCELLENTE ET TRÈS PITOYABLE TRAGÉDIE DE R & J : c’est bien la victoire des prénoms sur le nom -mais aussi le triomphe de la mort . Victoire que seule la tragédie peut rendre dans sa complexité.

      

    • une esthétique fondée sur une conception tragique de l’existence hantée par les contraires.

    W n’est pas un penseur: même s’il donne beaucoup à penser, il est un dramaturge. Il construit ses pièces sur des conflits parce que tout dépend des contraires et de leur logique d’affrontement ou d’accommodation, de conciliation. Le théâtre tragique exprime au mieux la tragédie essentielle du monde. Nous avons vu ce vers de R définissant l’amour comme INFORME CHAOS FAIT D’HARMONIEUSES FORMES 33: c’est sans doute l’image la plus appropriée de l’Homme et du Monde selon W. Sans oublier les deux éléments que dégage mais  oublie FL : l’inscription dans le Temps et l’ambivalence de chaque être. Mercutio  ne nous est-il pas apparu au moment de mourir comme soudain autre que ce qu’il disait sous son masque de cynique?

    Le Monde est constitué (ontologiquement !!!(Hang up philosophy crie brutalement et à tort R à FL) de contraires multiples et mobiles qui se tiennent en respect, qui peuvent s’associer provisoirement, se combattre, s’équilibrer et à des moments exceptionnels se rehausser l’un l’autre : il n’est que de penser aux deux vers de R I,5 p 54:

        Oh, pour elle, les torchent redoublent leur éclat

        Elle est comme un joyau sur la joue de la nuit

        Un brillant à l’oreille d’une Noire.

 Juliette est un  joyau qui augmente la beauté de son opposé sans conflit.

    Avec les contraires, leur affrontement, leur union, leur juxtaposition, leur négation etc... W parvient à rendre sensible les tensions de la vie et  la variété des points de vue, de tous les points de vue  : il n’impose aucune vérité, il ne délaisse rien, n’idéalise rien, il fait vivre avec génie des centaines de conceptions dans  une esthétique appropriée.

CL:on débattra toujours de la pensée de W: est-il radicalement pessimiste ou non? Ce n’est pas son rôle de nous l’expliciter: il n’enseigne pas. Il met sur scène l’être profond du Monde constitué en permanence de contraires aux affrontements grandioses et petits.
    On comprend l’écho qu’eut son œuvre avec les Romantiques et pourquoi des notions comme sublime et grotesque qui ne lui conviennent pas forcément ont pu s’imposer grâce à lui par exemple chez un Hugo (préface à CROMWELL).


•••••••

ENTRAÎNEZ-VOUS SUR UN BEAU SUJET : "LA PHRASE " (...) ET TOUT DÈS LORS SE CHANGE EN SON CONTRAIRE" N'EST-ELLE PAS LA CLÉ DE LA PIÈCE ET DE SON UNIVERS?

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30 décembre 2007 7 30 /12 /décembre /2007 08:53
     
    [Enter JULIET]
JULIET   Gallop apace, you fiery-footed steeds,  
    Towards Phoebus' lodging: such a wagoner  
    As Phaethon would whip you to the west,  
    And bring in cloudy night immediately.  
    Spread thy close curtain, love-performing night, 5
    That runaway's eyes may wink and Romeo  
    Leap to these arms, untalk'd of and unseen.  
    Lovers can see to do their amorous rites  
    By their own beauties; or, if love be blind,  
    It best agrees with night. Come, civil night, 10
    Thou sober-suited matron, all in black,  
    And learn me how to lose a winning match,  
    Play'd for a pair of stainless maidenhoods:  
    Hood my unmann'd blood, bating in my cheeks,  
    With thy black mantle; till strange love, grown bold, 15
    Think true love acted simple modesty.  
    Come, night; come, Romeo; come, thou day in night;  
    For thou wilt lie upon the wings of night  
    Whiter than new snow on a raven's back.  
    Come, gentle night, come, loving, black-brow'd night, 20
    Give me my Romeo; and, when he shall die,  
    Take him and cut him out in little stars,  
    And he will make the face of heaven so fine  
    That all the world will be in love with night  
    And pay no worship to the garish sun. 25
    O, I have bought the mansion of a love,  
    But not possess'd it, and, though I am sold,  
    Not yet enjoy'd: so tedious is this day  
    As is the night before some festival  
    To an impatient child that hath new robes 30
    And may not wear them. O, here comes my nurse,  
    And she brings news; and every tongue that speaks  
    But Romeo's name speaks heavenly eloquence.  
    [Enter Nurse, with cords]  
    Now, nurse, what news? What hast thou there? the cords  
    That Romeo bid thee fetch? 35
SITUATION 

    Nous sommes au centre de la pièce, à l'acte III: J attend que la nuit vienne pour que R, aidé d'une échelle de cordes, la rejoigne. Elle ne sait pas que R vient de tuer Tyb pour venger Mercutio et que le Prince a prononcé son bannissement à Mantoue.


   Ignorante donc des derniers événements, elle veut qu'en ce mois de Juillet, la nuit si tardive vienne vite.

    Vous aurez en tête la fiche que je vous ai donnée sur le regard critique porté sur J et son  amour
vrai (true love) jugé scandaleux par les "autorités morales "du XVIIème siècle - mais pas par le public enthousiaste...

[notre traducteur, plus audacieux que d'autres pousse le texte vers une dimension physique et sensuelle qu'on ne voit pas toujours]

        I-UNE INVOCATION : qui se voudrait pouvoir magique.

    •un dialogue : relevez-en les marques. Ceux de l'appel, de l'invitation (come, come etc), de la demande (learn me how), de l'ordre (hood my unmanned blood; give me);

*un dialogue passant par des références mythologiques : Phaëton, Cupidon.

*un dialogue avec une nuit personnifiée: matrone (dimension maternelle mais pour "civil night" B donne "courtoise nuit" et VB, "pudique nuit"), témoin austère, au front noir,  habillée de noir et portant cape ; nuit amoureuse médiatrice de l'amour qu'elle favorise, qu'elle protège; nuit qui a aussi des ailes...


      • une attente impatiente : 
-J rêve que Phaéton est aux commandes du char du soleil: ce qui garantirait une nuit précoce;
-elle prie que l'oeil du soleil se referme;
-elle trouve le jour interminable comme une veille de fête pour un enfant. Qu'elle est presque encore.
-elle a acheté "THE MANSION OF A LOVE" (NON UN NID D'AMOUR comme je l'ai cru bêtement mais un amour démesuré, inquantifiable) et elle n'en a pas l'emploi.

        • une attente exaltée :
-
d'emblée elle parle de faire l'amour (love-performing night)
-elle parle déjà de sa mort et fantasme sur l'avenir du corps de R
-l'adresse à la nuit est aussi et surtout une adresse à R.


        II- "UN HYMNE "À LA PASSION : à leur PASSION unique (qui ne devrait pas l'être).


        • une union sur fond de nuit : chaque amant est la lumière de l'autre, pour l'autre (R sera son jour, il sera solaire en pleine nuit). Nuit et lumière se rehaussent, l'une l'autre. Union des contraires. Union solaire et nocturne : harmonie idéale.
Qui rêve de bouleverser l'ordre cosmique..et l'ordre des hommes...


       • un amour qui ne craint pas l'expression du corps (c'est bien l'anti-Rosalyn):elle veut que R se jette dans ses bras, que l'amour pudique s'enhardisse au point de parler déjà de mort (mais à entendre aussi comme (petite)mort dans la jouissance féminine, ici anticipée).



      •un amour franc, libre, sans faute, sans tache, sans péché, vrai, loin des tractations de la mère et du père. Les rites de l'amour secret sont sans limites mais la Nuit témoin peut les voir. Amour authentique, sans masque. Impudique seulement pour ceux qui ne le comprennent pas.
            Passion extrême qui attend tout d'un "qui perd gagne"(to lose a winning match"), d'une perte qui gagne la totalité de la vie. Ils le connaîtront dans la nuit qui précèdera l'exil.

    cl : magnifique tirade qui exprime un rêve  d'inversion de  l'ordre cosmique : les étoiles de R seraient plus lumineuses que le soleil. Tirade qui sonne de façon douloureuse juste après (effet de juxtaposition : annonce de la mort de Ty, doutes fugitifs sur R) et tragique à la fin de la pièce. Des statues peuvent-elles dire la passion avec cette force innocemment scandaleuse, quand bien même elle réconcilie des vieillards?
Tirade qui confirme une évidence : WS sait beaucoup dire au moyen de la parole féminine.




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29 décembre 2007 6 29 /12 /décembre /2007 06:50
SITUATION:

    Les Cap' ont découvert et pleuré J car ils ne savent pas qu'elle n'est pas morte mais endormie par une préparation de FL. Ce qui devait tenir lieu de fête se change en son contraire selon la forte expression de Cap' (155).Tout le monde quitte la scène pour aller aux obsèques : restent provisoirement la N et plus longuement Pierre (que nous avons déjà vu dans la pièce et qui eut une réplique méchamment drôle envers elle 89) et les musiciens qui devaient contribuer à la fête du mariage.

   Cette scène est apparemment gratuite et on a parfois pensé qu'elle n'était pas de W, ce qui est mal connaître son art. Dans la tension dramatique, elle installe une pause (après une scène qui est elle-même tragique mais en même temps une comédie  jouée par FL), un retard classique dans la composition de la pièce (la N étant souvent à l'origine des retards). Mais elle permet à W d'élargir sa scène à toute la société qui devient théâtre (theatrum mundi). Elle pose ainsi la question des points de vue dans la tragédie.

        I-UNE PAUSE DE COMÉDIE:

            •a• une situation de comédie :un personnage veut duper un trio de musiciens. Il cherche tous les moyens pour ne pas les payer et arrive à ses fins. L'un des musiciens le traite d' "infâme crapule".


            •b• nous avons un petit festival de jeu sur les mots, de wit (DE POINTES comme dit le deuxième musicien=> notre traducteur : dégainez votre esprit (pointe de l'épée/pointe spirituelle)) auxquels Mercutio, avec plus de cinglant et de culture, nous a habitué.

-jeu sur les sobriquets :
                           Matthiew Minikin= Matthieu Crincrin (corde de viole en boyau de chat)

                       Hugh Rebec=Hughes Larchet (rebec: viole à 3 cordes)

                 Simon Soundpost=Simon Chanterelle (en fait soundpost est ce qu'on appelle si joliment l'âme d'un violon)

-jeu de mots :
                    -sur le mot anglais case bien rendu par état/étui : pitiful case/the case may be amended (étui qui a besoin d'être réparé)
                        -sur le combat avec arme et le combat "spirituel";
             -sur les notes de musique (croches, anicroches; transformation de notes en verbes : I'LL RE YOU; I'LL FA YOU; prendre notes);
                -pesante plaisanterie sur "silver sound" (son argentin) pour arriver à gold/or.

        •c• une inversion des rôles : le valet qui obéit généralement donne des ordres, menace, commande (un air, une chanson  peu adaptée à la situation) et il usurpe aussi la place du chanteur. Enfin le sens du deuil est chez les musiciens et non chez celui qui leur dit son mépris et qui appartient à la maison.

    => Cependant cette scène a plus de profondeur qu'il n'y paraît. Elle permet à W de nous montrer en passant

        -II-"LE MONDE COMME IL VA".


            •a• en fin d'acte,  W élargit le spectre social de sa pièce : nous avions en I,1 des serviteurs (Samson, Grégoire), nous aurons bientôt un pauvre apothicaire; chez les Cap nous avons vu la N d'origine plus que humble proche de la fille unique de la famille ; ici c'est la rencontre d'un valet (serving-creature (larbin dit l'un des musiciens) et de musiciens qui vont de "contrat" en "contrat"( anachronisme) et vivent comme ils peuvent.

               •b• en passant, sans insister W nous montre les rapports de pouvoir entre gens modestes : s'il y a mimétisme de clan entre Samson et Grégoire qui les pousse à la violence, il y a mimétisme dans le comportement d'un homme en bas de l'échelle sociale: il se croit autorisé à dire sa morgue avec la menace du gourdin et les mots pour éviter de payer. À tous les niveaux de la société on provoque, on insulte, on vole. Quelles que soient les circonstances. Le conflit est partout.W n'idéalise rien.

                •c• cette petite scène concerne aussi et avant tout des "artistes"[le concept serait à repenser dans son histoire: l'artiste
au sens "moderne", naît sans doute à Florence et à Rome, à la Renaissance].

        La pièce met en scène des comédiens qui se sont présentés comme tels dans le prologue.Elle nous a offert une scène en abyme avec la fausse mort et les lamentations des Cap' devant un metteur en scène nommé Laurent.  Elle suppose des musiciens au bal masqué et elle fait allusion à la sculpture pour les statues édifiées à la mémoire des amoureux "sacrifiés".

        W dans sa vie a connu bien des tracas, des dettes, des dépendances. À son époque comme à celle de Molière le camp des religieux déteste ces imitateurs jugés dangereux et la plupart des créateurs (avec quelques exceptions) qui séduisent, dupent, illusionnent (vieux procès platonicien repris par beaucoup de théoriciens religieux).

          Ce mépris pour les parasites, du moins pour ceux qui les considèrent ainsi est réfléchi dans cette fin d'acte. Eux-mêmes sont obligés de jouer les pique-assiette. Pendant que R voit la mort comme un ogre au ventre glouton, les "artistes" doivent manger (dinner est le dernier mot anglais de la scène et de l'acte) et grappiller les restes d'un repas de mort.

            Le créateur qui met en scène la scène du monde est le seul à même de restituer cruauté et beauté de ce monde.

cl : génie de W. Le centre et la périphérie ne sont pas éloignés : ils se ressemblent. Une petite scène intermède n'est pas insignifiante, elle n'est pas une pièce rapportée faite pour seulement détendre. Elle est un petit miroir qui réfléchit le monde. On peut pleurer, on peut souhaiter chanter gai un jour de deuil.Il faut vivre : la vie continue....



                   

    
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