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15 janvier 2008 2 15 /01 /janvier /2008 05:42



    SANS TENIR COMPTE des apports et des initiatives des metteurs en scène qui délaissent souvent les indications d'un auteur ou la logique de son texte, les objets sont pourtant  bien présents dans une œuvre théâtrale : chez W on aura les didascalies empruntées au Q1, les didascalies intérieures au texte (implicites), les objets désignés dans les dialogues et appartenant à l'univers réel mais aussi à l'imaginaire des personnages (le carrosse de Mab ou l'obsession du canon chez R).

    Traditionnellement sur scène les objets ont

    1)UNE FONCTION RÉFÉRENTIELLE: elle sera limitée chez WS pour plusieurs raisons.

            • Si  le théâtre élisabéthain multiplie à foison les accessoires, Sh n’en fait pas un usage immodéré : classiquement l’objet est un signe qui feint de donner rapidement des indications sur le réel supposé de la pièce. Toutefois le prologue de R+J parle tout de suite de “stage”/scène. Aucune confusion, aucune illusion durables n’est possible.

              Mais il faut tout de même un cadre de représentation, fût-il avant tout imaginaire.
                Ainsi un bourgeois qui vient en I,1 demander l’arrêt des rixes entre Cap et Mont en représente une cinquantaine et donc une cinquantaine d'armes et une partie active de la ville : la scène sh est économe en moyens et demande de l’imagination au spectateur.
                 Très modestement encore mais donnant tout de même une clé "morale" et politique en arrière-plan de la pièce, un objet circule discrètement : l'argent dont seront privés les musiciens et l'or poison que R donne à l'apothicaire...


                    • Ses références supposées à l'Italie ne sont pas envahissantes : W ne table pas sur la couleur locale, le pittoresque facile. Nous aurons plutôt des objets liés à telle ou telle catégorie : les armes des rivaux (à vous), les instruments des musiciens (156 sq), les flambeaux de la fête (mais on sait que le théâtre à Londres se joue en plein jour..), les éléments qui relèvent des serviteurs et cuisiniers (I,5=52/53=dressoir, tabouret etc). On saura que le sol est en roseau 48.

                    Le costume est parfois évoqué : Mer qui a des souliers de bal en cuir 47 dit que R porte des culottes à la française (81) et parle en III,1 de souliers et vêtements 98. On sait que Merc en vient à regretter que Tyb soit italien...ce qui est pour le moins curieux et affiche une belle désinvolture de la part de W.

    Cette dimension référentielle ne retient visiblement pas W.Il préfère souligner la



        II) FONCTION DRAMATIQUE : les objets ont leur place, leur rôle dans l’action et ses conséquences. Ils sont souvent  liés à l'idée de  contre-temps.

       • la communication est essentielle  dans la pièce et c'est elle qui permet la passion et la "condamne" : l'écrit, la lettre, le message ont une importance capitale dans l’évolution de la tragédie:

-l’invitation lancée par Capulet est transmise par un serviteur illéttré : R en prend connaissance. Beaucoup se joue là.Surtout quand on sait le contenu de la prémonition de R( à vous).

-après sa crise de rage à peine maîtrisée par Cap, Ty a écrit une lettre aux Mont, lettre qui inquiète Merc en II et n’est pas étrangère à son acte de défi en III,1.

-quand R est exilé à Mantoue Fl lui écrit ce qui va se passer : mais la lettre est bloquée (peste). La catasrophe se précipite.

-quand tout est fini la dernière lettre de R vient servir de pièce à conviction dans le jugement de Prince.


       => l'écrit provoque la rencontre, annonce le défi de Ty, provoque la mort de R et sert de preuve. Trajet complet.


        • est-il utile de souligner le rôle des armes voire des couteaux ? Elles défient (avec une fréquente connotation sexuelle), elles ferraillent, elle tuent et provoquent un enchaînement d’actions fatales. Dév (sans raconter) III,1 qui donne lieu à une tentative de suicide, retenue pour R en III et "réussie" pour J à la fin.

            • un objet joue un rôle actif, ambivalent et décisif : la fiole.
-l'une pourrait sauver le couple en contenant les herbes qui permettent  un simulacre de mort ;

-l'autre délivrée par l'apothicaire permettra une mort par implosion foudroyante. Elles ne sont pas pour rien non plus dans l'
ironie tragique.

Évidemment, et nous y sommes déjà, ce qui importe ce sont les


    III/FONCTIONS SYMBOLIQUES:


    • On ne saurait être surpris par la dimension théâtrale du monde : W en a fait un des postulats de son œuvre.

    Le masque est présent au bal des Cap, lieu du coup de foudre. On mesure vite que R va changer du tout au tout comme J, mais elle, plus discrètement : fuyant la comédie des êtres, ils vont toutefois garder un temps le masque social (le"manteau" de la nuit) pour préserver le secret de leur passion : en IV après un moment de révolte et pour entrer dans les plans de FL elle jouera la comédie de la fille obéissante et prendra même le masque de la morte...
    Plus caché encore semble Merc qui réclame un masque à l’entrée du bal. Il est celui qui a joué toute sa vie un rôle de composition avec le masque du jouteur verbal cynique que la mort lui arrache soudain. Le masque de la haine que portaient les familles tombe aussi (peut-être) avec la révélation de la mort des amants.



    • la haine, la mort et l’amour irriguent, innervent toute la pièce. Leurs tensions sont renforcées par des objets qui les résument:

            -l’amour est évidemment symbolisé par les cordes de l’échelle que R emprunte pour monter chez J et lui faire un adieu qui sera définitif (à la fois lien audacieux et signe de départ qu'on saura définitif). Le O de l’anneau a une place banale mais significative : il dit le secret de ce mariage qui transgresse toutes les lois et il est recherché par R à la fin quand il la croit morte : il veut en faire un usage très cher 168.

               
-la haine est condensée dans l’arme que l’on saisit très vite (inutile d'insister) mais l'amour fait aussi appel aux armes (on se souviendra que Cupidon et ses flèches sont très insistants dans la pièce). L’amour et la mort sont liés par un objet qui n’est pas sur scène mais hante le discours de FL et de Roméo: le canon, baiser de feu et de poudre qui se retrouve dans le poison de l'apothicaire. Il y a aussi (peut-être) de "l’extatique" dans le poignard quand J se tue.

    • l’ambivalence de tout (l’instabilité des choses, la réversibilité des objets et l'inconstance des êtres prisonniers du temps) est magnifiquement méditée par le discours théologique du FL
: son modeste panier contient des herbes qui ont deux capacités contraires, elles peuvent êre suaves et tuer. La fiole concentre, condense tout ce qui est (choses, objets, êtres). Celui qui est le mieux à même de comprendre cette ambivalence l'oubliera et en sera lui aussi "victime".En même temps pour R comme pour J le poison sera vécu comme un cordial 165/174 et non un poison.


cl : avec peu d'éléments, W parvient à donner une richesse dramatique et symbolique aux objets. Il le fait jusqu'au bout de la pièce. On promet  l'édification de statues. Elles seront  un élément qui symbolise la morale (?) de la pièce ou peut-être une morale à bon compte:  elles sont  aussi bien ambivalentes selon le regard qu'on leur accorde. Je vous renvoie à mon cours sur L’ÉPILOGUE.(III)

[Je gage que la pièce, le livre sont les vrais tombeaux des amants : livre qui ne donne pas des imitateurs comme R au début de la pièce imitait une attitude littéraire (pétrarquisme, euphuisme) ou des lectrices comme lady Cap' qui ne voit dans un livre qu'un objet de comparaison amoureuse (Pâris) dans une négociation de mariage.]



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