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11 janvier 2008 5 11 /01 /janvier /2008 05:23

AMOUR ET MORT

    L’Occident quand il représente l’amour est souvent hanté par son lien avec la Mort. Ses grands mythes en témoignent. Est-il besoin de citer Orphée et Euridyce, Pyrame et Thisbé que W mit en scène (pour s’en moquer) dans SONGE D'UNE NUIT DÉTÉ, Didon et Énée, Tristan et Yseut qui connaîtra son expression ultime dans l'opéra de Wagner. Sans oublier le couple plus modeste mais si important (Écho et Narcisse) que l'on entrevoit dans R&J.

    Occident qui de Platon à Freud s'interroge sur EROS ET/ou  THANATOS.

        Voyons ce que nous montre  R & J sur ce couple d'opposés qui ne le sont pas toujours. Le prologue nous avertit : il s'agit " Du cours d'un amour destiné à la mort" ou mieux "De l'effroyable cours de leur amour fatal". "THE FEARFUL PASSAGE OF THEIR DEATH-MARKED LOVE". Amour marqué au fer brûlant de la mort...


        I-LA PASSION COMME ÉLAN DE VIE QUI CHERCHE À ÉCHAPPER À LA "MORT" DES VIVANTS ET À LEURS CONFLITS:

        a)un idéal paraît discrètement dans la pièce : éliminer par l'amour, non la mort, mais ce qui mène à la mort réelle ou symbolique : la haine ou le commun.

        Songeons à l'étonnante déclaration de R, dès sa première apparition : dans le conflit des familles, sous la haine, il devine beaucoup d'amour 32/171. Peut-être que son amour à lui (qui ne s'est pas encore déclaré -il croit encore aimer Rosalyn) a cette ambition de révéler la part d'amour dans ce qui fait couler le sang à Vérone selon le Prince. Mais les choses changent avec J.

        Point complémentaire  : l’amour selon FL devrait réconcilier les contraires et mettre fin à la haine : cf citation que vous connaissez par cœur p 77 " C'est de changer....". Mais FL parle de pur amour (connotation fortement religeuse) et il dira plus loin qu'il y a une vanité de l'amour...humain 96. On sait que la conception qu'il a de l'amour est peu conciliable avec la passion de R & J même si eux aussi  défendent un pur amour mais aux élans peu compatibles alors avec le discours religieux.

    La présence de cette ambition de l'amour (ré)conciliateur est incontestable jusque dans la solution de la vivante faisant la morte (discours de FL 120v150/1) et c'est aussi au nom de l'amour que R veut expliquer à Tyb qu'ils ne doivent pas se battre: la part d'illusion ici est majeure.[ C'est le rêve ( magnifiquement) utopique d'un changement des autres qui s'aligneraient sur leur effusion à eux. Chacun est un peu vistime de Mab....]


        b) autre point : la vie des autres est perçue
symboliquement par le jeune couple comme mort lente, un sursis avant la mort (relisez ce que dit J quand elle oppose jeunes et vieux 91!! Les vieux font souvent les morts):l'éclair dont parle J a été fondamental.

    -R+J rejettent plus ou moins inconsciemment le temps des autres, l'amour dont parle avec nostalgie Cap (courir les souris 149), l’amour entendu comme négociation (à vous cf la déclaration de Cap'132 et les approches en I de sa femme), comme inscription dans un temps orienté d’avance, fléché, et finalement  répétitif (naissance, anniversaire, fêtes, accrochages chroniques entre "clans"). Même le fraternel Laurent condamne leur  passion, leur désir passionné au nom d’un amour sage 95.

        =>le temps  commun, celui du quotidien est vécu comme une mort lente.

        c) surtout ils vivent leur passion comme nouvelle naissance, comme négation de toute antériorité, de tout lignage : J demande à R renier son Nom, le Nom du Père (détachement symbolique très fort). Il s'agit d'instaurer une coupure radicale qui ouvre à un autre Temps, celui de la passion, l'Instant. Le couple s'invente même (certes de façon métaphorique) une nouvelle cosmogonie où l'ordre du monde est inversé, le temps transformé: les étoiles ont une luminosité supérieure au soleil....Un espace intérieur se dessine en chacun : l'autre aimé est intégré au "moi" de chacun, et ils ne peuvent penser vivre sans l'autre.

  =>  Est-ce à dire pour autant que la mort soit absente ? Non. Nier les autres ou ruser avec eux au nom de la passion est risqué et sur un autre plan J fait tôt l'hypothèse de sa mort (en rêvant que la Nuit découpe le corps de R en étoiles humiliant le soleil 108). Nous sommes pourtant à l'acte III, dans la nuit qui promet le premier contact charnel...

    C'est dire si


   II- LA MORT BORDE ET HANTE LA PASSION DES AMANTS :

la mort ici est immanente à la passion selon J. Kristeva.

        a) la haine, désir de mort de l’autre ou d’autres, peut surgir, même chez nos passionnés :

    -J promet à R de le tuer à force de le chérir 73 ; on a vu qu’elle demande à la Nuit de découper le corps de R pour en faire des étoiles : il n’est pas possible en tout cas que R lui survive....

    -J est d’ailleurs celle qui comprend le plus vite que la haine mortelle des familles est un aiguillon de leur passion.

    -surtout en III,1 R est repris quelques instants par la haine, par une passion haineuse qui lui fait oublier sa passion : il tue alors dans la famille de l’aimée (certains y voient une ruse de l'inconscient..). Ce qui déclenche tout.
Mais ce qui donne, après un instant de doute, une sorte de surcroît d’amour et de puissance de simulation à J qui devient comédienne des larmes..devant ses  parents. Elle arrive à faire croire que ses larmes pour R sont des larmes pour Tyb (cf son discours à double entente 128/9).Ils vont s'aimer dans la nuit sur fond de mort...

Plus troublant

        b) mort et amour sont associés très tôt par les deux amants:

Quelques citations :

    *du côté de ROMÉO :

-quand il est encore amoureux de Rosalyn, il parle comme un malade qui doit faire son testament 34;

-dans le même contexte il se donne comme un mort-vivant;

        * à ce moment on peut penser à une "comédie" sincère du mélancolique influencé par des écrivains.

            *mais on retrouve ce penchant dans sa passion pour J:

-avec elle, il dit préférer la mort à l'absence d'amour de J 67: c'est amour ou mort.

-plus curieusement au moment de son mariage,  il songe sans frémir déjà que la mort dévoreuse 95 peut lui ravir J : FL en conclut à une passion fascinée par l'Instant et il le sermonne.

-en outre alors qu'il n'est que banni, il tente de se suicider (la tentative de J n'est pas  du même ordre) nb 119 : il ne cesse de confondre exil (J à quelques dizaines de Kms) et mort 115. J sur ce point va dans le même sens : 112/v 125/6

-à  Mantoue il se rêve mort et ....ressuscité.


    * du côté de  JU

-avant d'apprendre l'identité de R (bal masqué), elle annonce que s'il est marié (c'est pire) "alors c'est dans la tombe que je serai déflorée".

- nous savons que pendant l'attente de R pour la nuit d'amour après mariage elle pense déjà à sa mort et souhaite celle de R 108

- après la révélation de la N, J ne peut envisager une infidélité (bigamie) à R : elle répète qu'elle préfère "que la mort penne sa virginité " 113

-quand J dit au revoir à R 126 elle le voit comme un mort au fond d'une tombe..

-la mort comme dernière  solution apparaît en fin de IV. 135


Faut-il comme certains aller jusqu'à parler de fascination morbide?

  C'est aller un peu vite. La difficulté d'analyse est à mettre au compte de la subtilité de W.

        Il faut tenir compte de l’énoncé et de son contexte : il y a chez les deux une rhétorique amoureuse qui, dans la passion, peut cultiver les formules hyperboliques :

        -124 évident : on joue sur partir et demeurer et R souhaite naturellement mourir pour prouver sa soumission à J et à sa passion. On peut parler de jeu amoureux, sans doute influencé par des lectures. Bien d'autres exemples iraient dans ce sens.

        -plus dérangeant : il est incontestable que d'autres passages vont dans le sens d'un élan fiévreux vers la mort annoncée : R va au bal masqué en ayant une prémonition sinistre. Il s'y précipite.

Et pourtant rien n'est simple parce qu'

        c) il est non moins incontestable que chacun tout de même lutte un temps contre la mort avant de s'y jeter:

    *surtout de la part de J :

-la mort pour elle, qu'elle redoute ou qu'elle souhaite, n’est solution que contre le mariage forcé ; évidemment elle a hâte de mourir, elle a un couteau en main devant FL, S'Il n'a pas de remède 141;

-à ce titre elle est prête à tout 141, elle accepte tout:

        -la mise à mort symbolique que lui infligent ses parents en fin de III (deshéritée, humiliée),

          -la simulation qui pourrait être (elle y pense un instant) un assassinat de la part de FL, qui pourrait mal tourner, et elle doit surmonter ses  peurs d'enfant 141 et ses fantasmes  148.

    C'est la mort de R qui la pousse à se tuer : son monde intérieur meurt avec lui et le monde extérieur n'a plus aucune existence alors. Surtout pas celui que lui vante FL (couvent). En même temps il est vrai que c'est elle qui a chanté la nuit, l'aspiration à la Nuit, antichambre d'une certaine Mort....



       *on doit admettre que le désir de R est aussi très complexe :il a, en certains instants, comme une espèce de hâte  mourir

    -et pourtant  il se  révolte contre les étoiles, contre le destin de mort qu'elles président, certes, il se bat encore contre le monstre avaleur, et quand tout est perdu, il veut ravir à la Mort le corps lumineux de J.


     -tout de même son dernier baiser est troublant : il  veut avaler le poison pour connaître une mort par implosion qui nous rappelle la jouissance explosive dénoncée par FL qui devine en fin de II que la passion de R est à la recherche d'un instant extatique qui mêle passion, destruction et auto-destruction......(passages que j'ai souvent cités et commentés : cf cours sur la mort de Roméo).Le point énigmatique est dans l'éclair 171 que R évoque dans ce caveau en parlant au cadavre de Pâris. Il se ravise, semble y renoncer.Mais l'image lumineuse de l'union brève mais extatiquement intense (jeu sur lighting / lightening) semble la vérité de son choix de mort. Serait-ce un éclair demeuré éclair?

             Pour Juliette non plus, on ne coupe pas à la psychanalyse  avec le couteau phallique qui donnerait une jouissance à J qui ne peut mieux faire s'unir la mort et la petite mort : même J. Kristeva va dans ce sens !(Voir le commentaire de notre traducteur en sa préface 16: hypallage de happy dagger)

    Disons alors que la privation de l'autre équivaut à une mort symbolique qu'il faut rendre réelle : beaucoup d'éléments de leur monde intérieur auxquels W nous rend sensible progressivement les préparaient à ce choix.


        III-l'APPORT DE W à cette dualité très ancienne (qui culmine dans le MILD UND LEISE de Richard Wagner et que Freud voudra théoriser).


    •a• Il montre la complexité inouïe des rapports entre passion et mort chez ses deux héros. Ces contraires entrent dans un jeu
instable où tour à tour ils se combattent, se défient, se rapprochent et finissent par s'unir sans donner une fusion. W a eu le génie de montrer que les amants allaient d'une certaine rhétorique artificielle à une expérience tragique et il a pu en exposer les contradictions. Il a surtout su montrer les contraintes extérieures qui pesaient sur le couple et le mouvement intérieur passionné qui le poussait. R&J n'est pas seulement une tragédie déterminée par une intolérance sociale : elle est, dans ces conditions particulières, une tragédie inhérente à la passion et à un vertige de puissance dont j'ai déjà parlé (rêve d'être empereur : autre cours).



    •b• Il reste qu' il est évident que W en reprnant le canevas légué par ces prédécesseurs  a sauvé les amants en les "tuant", ce qui a présidé à l'élaboration du mythe abondamment réécrit par le romantisme (musical en particulier).

    Quand une passion meurt, le couple survit dans le quotidien et le commun ou il se sépare. Ici la mort des amants met en valeur la force de la passion et nous aimons croire que seule la société est responsable de leur mort, le vert paradis des amours juvéniles étant préservé par la mort R s'accuse d'ailleurs lui-même d'avoir, par sa vengeance sur Tyb, " souillé l'enfance de notre joie" 118. Mais cette lecture gratifiante est discutable car trop sélective. La passion s'étayait, de façon complexe, sur la mort.


cl : sans forcément croire à cette détermination, W nous avait donné un indice symbolique précieux auquel il tenait visiblement: il a voulu insister sur la date d'anniversaire et d'engendrement de J: elle naît en pleine canicule, ayant été engendrée le jour d'Halloween : vie poussée à son excès de chaleur, vie née dans le retour des spectres ..L'excès passionné s'alimente aux sources de la mort et de la vie.

Ce n'est pas hasard si J au moment d'adieux qui seront définitifs parle d'un météore..124


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