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28 décembre 2007 5 28 /12 /décembre /2007 09:09

*tl*
            LE TRAITEMENT DU TEMPS DANS R&J


Dans le théâtre en général, dans le théâtre tragique spécialement  mais plus particulièrement chez W, le temps est le grand ordonnateur, le grand manipulateur des destins, le grand orchestrateur - au service du dramaturge.

On peut partir d'un point : J au moment de mourir avec le poignard de R déclare ce qui fait partie de sa dernière réplique "oh, faisons vite"/"Then, I"ll be brief""). Dans R & J le temps presse.


    I/LE CADRE TEMPOREL DE L’AVENTURE TRAGIQUE :

    •a• un cadre précis sur lequel WS insiste souvent :

ACTE I= DU DIMANCHE MATIN (9 HEURES) AU DIMANCHE SOIR (14 JUILLET)

ACTE II=NUIT DU DIMANCHE AU LUNDI ( en passant par aurore, midi, moment du mariage secret, après-midi) donc 14/15 JUILLET.
ACTE III=LUNdI 15 JUILLET, SOIR PUIS AUBE DU MARDI . Jusqu'aux adieux très tard, dans le jour naissant (à cause du bannissement) et jusqu'à une querelle chez les Cap' qui isole un peu plus J.
ACTE IV=MARDI 16 JUILLET-suite-MERCREDI commençant. Milieu de la nuit, trois heures du matin, découverte du corps de J au lever du jour (donc mercredi tôt).

        *mariage Pâris prévu pour le Jeudi. Mais Cap' le place au mercredi.

ACTE V: MERCREDI 17 & JEUDI 18 JUILLET.

            -MERCREDI :R À MANTOUE.Faute de message,il croit Juliette morte.
       -JEUDI 18:Plus de minuit chez frère Laurent. Dans trois heures J va se réveiller
            -milieu de la nuit, cimetière
            -à la fin, un jour gris se lève.

    =>le découpage en actes qui n'existait pas au départ ne répond pas à des journées séparées. Esthétique très particulière.


    •b•on observe tout de même des fluctuations en particulier dans la question des 42 heures de la fausse mort de J: si on regarde de près il y a ou incohérence ou choix esthétique de la part de WS. Certains font durer le cadre temporel juqu'au vendredi.

    • même si nous sommes loin de l’unité de temps des classiques français (et d’Aristote cf POÉTIQUE 49 b:”la tragédie s’efforce(...) de tenir dans une seule révolution du soleil ou de ne guère s’en écarter”), il apparaît que dans les deux heures de représentation W a voulu resserrer le temps de ses sources surtout celle de Brooke : chez ce dernier la pièce était supposée couvrir six mois et surtout W a eu l’idée de changer de saison et de placer la tragédie au mois de juillet, mois de la canicule et de l’anniversaire de J., ce qui n'est pas neutre ou dû au hasard.

Voyons dès lors

 
    II-LE TRAITEMENT DU TEMPS DANS LA REPRÉSENTATION:la pièce doit durer deux heures selon le Prologue I.Le temps scénique n'étant pas le temps réel :R tue Ty, une heure après son mariage; J l'attend trois heures : sur scène tout s'enchaîne.

     •a• quand tout commence, tout est déjà dit par le PROLOGUE I qui tient lieu de prolepse globale tandis que la pièce développera les causes et les enchaînements qui mènent à cette fin annoncée. Le temps final est posé. La fin est inscrite en chaque action. Il s'agit d'une re-présentation.Tout mène à un enterrement réel ou symbolique (21; v 8)

    S’il y a quelques évocations du passé (enfance de Juliette (N), oublis de Cap (au bal, il confond des dates), dans l’ensemble, elles ne sont pas longues des personnages majeurs sont sans passé: FL, Mercutio), et c’est la prémonition qui joue un rôle certain dans la pièce: on pense, entre beaucoup d'autres, à la sinistre intuition évoquée par R à l’entrée au bal masqué ou à l’ironique rêve du début de V où il se voit mort, ressuscité par J et devenir empereur. Nous avons encore le présage de J au moment du départ (III) de R

     •b• le temps scénique est varié : c’est un mélange des tempos qui se succèdent ou sont imbriqués (ici le choix du metteur en scène opère à plein dans une représentation : nous ne suivons que le texte).

Nous avons :

*globalement une action resserrée, un nouage des intrigues qui va assez vite  se mettre en place et  se développer.

* des moments d’agitation ou de tension : la scène (ou tableau) peut être longue, voire très longue mais vive :

            -actions menaçantes ou violentes (rixes, combats) qui donnent l’impression de vitesse;
          -des joutes verbales qui supposent de la célérité, des disputes dans la famille Cap (d’une violence incroyable) qui impliquent de la vivacité.
                -les scènes histrioniques de M qui supposent des saillies (pointes, wit) qui fusent sans arrêt. Lenteur exclue.

*et des moments d’une certaine durée qui paraissent des pauses en comparaison  avec les précédentes.

       Pauses:

            -dues aux étonnantes (et apparemment redondantes (pour Geoffroy)) narrations de faits que nous venons  de voir sur scène (Benv deux fois, FL dans sa longue déposition-accusation de V,3));
                -dues aux retards pris volontiers par la N qui aiment les redites;
                 -avec les méditations ou leçons de FL;
                 -avec les échanges amoureux assez longs et équilibrés.

    =>W aime jouer de l’alternance de la vitesse et de la pause relative avec des moments de pur lyrisme. Citez évidemment le passage de III,1 À 2 (de l'exil à l'attente de J qui ignore tout).

       =>on notera que la tirade chez W assez longue peut être une juxtaposition de déclarations intenses,vives et de méditations plus lentes:tirade de la mort de R, entre autres.

      •c• enfin le temps scénique impose une sensation de partage de la pièce en deux vastes pans avec un crescendo incontestable.

        -après l’emballement de la rixe en I,1 l’exposition met doucement en place ce que le noeud va renforcer. Les scènes lyriques et "comiques" dominent.La jeunesse de Vérone s'amuse: I,4; II,3. C’est ensuite avec III,1 la mort de Mer et la dernière séparation des deux amants III,3 que tout devient crise et impose une impression d’accélération et de multiplication implacables des faits qui convergent tous vers la mort des amants.
      

W nous offre enfin l'occasion


 
    III/DE MÉDITATIONS SENSIBLES SUR LE  TEMPS:



    •a• W, grand dramaturge du temps, nous permet une méditation
sur le Temps tragique et le tragique du Temps.

    * On l'a perçu, la pièce est une magistrale construction des enchaînements temporels (tresse d'intrigues qui se croisent et se déterminent), d'un temps menant infailliblement vers la mort qu’on appellera ou destin ou somme de hasards ou destin désiré (autre cours)) mais que W nous apprend  à problématiser. Le Temps (rendu présent, tangible sur scène) règle tout : à chacun de décider de qui, de quoi , il est l'agent.

   au sein d'une linéarité implacable, il met aussi en scène l’Instant unique mais aussi divisé, ambivalent où tout se décide dans une ligne qu’on ne comprend qu’après-coup. W sait mettre en valeur avec une égale intensité, l'Instant et la chaîne des instants qui font ligne de "destin" ou d'infortune-comme on voudra.

        Les figures de l’instant auxquelles il rend sensible sont celles:

-favorables,
    -de l’éclair (charme d’un regard échangé) du baiser,
    -de la surprise, de l’inattendu : balcon;
  -le temps trop bref de la nuit d’amour (ellipse) qu’on veut prolonger et retenir (alouette ou rossignol).

Mais l'instant est croisement, "feuiletté" de multiples temporalités....L'instant miraculeux du bal a été précédé de la rebuffade de Ty qui va provoquer un peu plus sa détermination haineuse.

    On aura une admiration particulière pour l'instant infime de silence qui sépare et unit dans le même  vers:

            PRENDS-MOI TOUT ENTIÈRE     JE TE PRENDS AU MOT


-déchirantes du trop tôt, trop tard : véritable leitmotiv de la pièce.
            -le père Cap se demande devant Pâris s’il n’est pas trop tôt pour marier sa fille; il voudra accélérer les choses au jeudi puis même au mercredi à partir de la mort de Ty et de sa méprise sur le chagrin de J.
          -
Capulet trouve que ses invités partent trop tôt du bal masqué
              -découverte du nom de R  par J (citation capitale p 59: À VOUS , PAR CŒUR)

                -celui qui se veut maître du Temps énonce une loi qui se retournera contre lui :78 TOUT DOUX! QUI VA TROP VITE TRÉBUCHE BIEN SOUVENT.
       
             -Juliette au balcon ne veut pas d'un serment trop précoce 69             
        - pensez aux messages qui n'arrivent pas ou trop tard. FL rejoint quelques minutes trop tard le tombeau. Il s’en faut de peu pour que R ne voit J se réveiller; pour que FL ne retienne J qui ne voulut pas fuir avec lui;
       etc...

La figure

- étonnante du changement brutal :
                   -de R envers Rosalyn, au grand étonnement de FL;cf prologue II 61, illusion du propice.
                   -du changement de tout en son contraire : importante exclamation de Cap’ p155
                -temps du changement venant de l’Instant divisé, jamais simple car croisant des temps hétérogènes : la mort de M est emblématique. Aucune raison objective pour Merc d’être là (nb Mercutio  est en  décalage temporel complet : il croit encore lutter contre l'influence de Rosalyn), sinon sa crainte d'une action de Tybalt contre R (intuition après la lettre); nous assistons à un geste sans doute doublement généreux (de M envers R et inversement) qui donnera lieu à une somme d’enchaînements catastrophiques. Une seconde  de générosité qui favorise  la botte traîtresse de Tybalt. Tout bascule au moment de la plus parfaite solidarité.

        * ce qui permet à W d'exceller dans L'IRONIE TRAGIQUE (fiche à part).Par exemple : le mariage accéléré qui était une solution habile devient un piège avec Pâris.Par exemple encore J redoute de réveiller trop tôt 149: ce sera trop tard, de quelques secondes.


    •b• Naturellement la pièce nous convie surtout à une méditation sur le Temps de la passion, son rôle, sa force.

       
Passion qui enthousiasma le public (R+J eut un grand succès) et qui choqua tellement les lecteurs dits officiels. Disons plus modestement le temps d'une passion.


    Rappelons l’évidence : il s’agit d’une passion qui n’aura de vie que brève, d’un dimanche soir à un jeudi matin - alors qu'il est des passions amoureuses qui durent parfois (?).Temps bref, condensé, unique. Et pourtant qui permet l’éclair de la rencontre, le dialogue du balcon, le mariage secret, la nuit d’amour (sur fond de mort de Tyb), la séparation de l'exil et la mort volontaire: une sorte de cycle complet en peu de jours. En même temps, J parle de sa maturation 94, dans la passion pourtant si réduite dans le temps.


    Face au temps sage de Fl, face au temps répétitif de tous (surtout celui  de la haine) voyons le  temps de R & J. Au temps circulaire, quelle figure oppose -t-il ? [Il faudra relier ce cours et d'autres  à la question de la Nuit dans R&J]



  

   * Le temps de cette passion se détache du temps civil, du temps des familles et même du temps recommandé par Fl comme le langage des amants cherche à être nominaliste et rêve d'instituer un autre langage, un autre rapport aux mots (à vous : la question du nom à renier et à tenir pour arbitraire):

        -le temps dominant  dans la société est celui des rites, des répétitions, des redites et de l’usure.
        -le temps recommandé par FL est un temps d'amour sage qui prend son temps et qui cherche un équilibre
[avec une curieuse idée sur le temps du mariage : 155=FEMME LONGTEMPS MARIÉE N’EST JAMAIS BIEN MARIÉE/LA MIEUX LOTIE EST CELLE QUI MEURT JEUNE MARIÉE)!!!]
      -le temps que propose Pâris avec son mariage  consiste à prolonger la tutelle du père et à tenir en "laisse" J (ce que Lady C appelle la sagesse...)


   La passion de R + J naît dans un bal masqué et se joue du masque de la religion détournée; dans l’échange du “balcon”, leur passion se veut une renaissance, une élimination des Noms des pères, un refus des serments 68, des bonnes manières. Leur mariage est d’abord un calcul et il a la beauté intense du secret. On sait aussi que J préférerait qu'on lui annonce la mort de ses parents à l'exil de R. Mort "naturelle"....

    La passion du couple est un rejet du cercle de l'usure du Temps et un hymne à la transgression de tout, de l'excès, à la dépense en tout.  C'est le fameux qui perd gagne de J  dans l'hymne à la nuit - si décisif. Elle ne parle certes que de virginité mais c'est la perte dans la passion qui est gain absolu en réalité. On aura en tête aussi la magnifique image de J: "plus je te donne / plus je reçois, car l'un est l'autre sont infinis.". Échange infini, d'infinis. Cercle aussi mais grandissant à l'infini.


    Évidemment le temps de cette passion sous la force des événements est linéaire ( naissance, vie et mort en 5 jours) mais ressemble lui aussi à un cercle qui se veut à l'écart du cercle de l'usure du reste de la société : en peu de temps, ils n'ont pas l'occasion de tomber dans la répétition mais on se souvient que dans l'épisode du balcon J joue beaucoup de la répétition...On dira qu'il s'agit alors de séduction.

    On peut se demander (voir autres cours) si la mort ne sauve pas leur passion....[ entre nous: ...fortement narcissique : Écho n'intervient pas par hasard dans la bouche de J]

   

    En même temps W ne cache jamais qu’il y a chez ces  amants  des éléments qui comptent beaucoup dans leur tragédie et son tempo:

                        1-un rêve de Puissance à deux qui va loin : R  se rêve empereur à Mantoue 161 et J l'appelle le "seul monarque de la terre entière"111.
        L'harmonie rêvée passe par une cosmogonie fantasmatique (et métaphorique) qui veut corriger la cosmogonie réelle (les étoiles et le soleil ont une place prépondérante dans les images des amants (J et ses yeux supérieurs aux étoiles 65; R devenu étoile qui rabaisserait le solaire 108; sans parler de l'ancien adorateur de la lune qu'était R avec Rosalyn qui voudrait tuer cet astre (début de la scène du balcon)). Ils veulent dans et par leur amour imposer un Temps cosmique d'où l'alternance (jour/nuit; soleil / étoiles ) serait bannie.




                 2-il attire aussi  l'attention sur une attente profonde, ancienne en eux (aux formes multiples). La passion semble NE  trouver QUE dans la mort l’intensité que la société ne peut tolérer (on veut
même  voir  un poignard phallique dans la mort de J !!!!).[CF Autres cours (dont PASSION ET MORT)].

               3-il met merveilleusement en lumière l'espèce d'enfermement temporel dont sont vite victimes les amoureux passionnés. Ils ont cru vaincre le monde en imposant leur monde, sorte de microcosme parfait. Ils ont voulu croire à un monde lumineux et peu à peu ont dû se réfugier dans la Nuit : où ils finiront. Unis? Non. Séparés.

  

cl:
On a compris que le Temps est au cœur de la dramaturgie shakespearienne: il est l'acteur invisible et le metteur en scène absolu. Le re-présenter suppose un art extrême.

Mais finissons par l'épilogue:une statue doit faciliter le temps de la réconciliation, de la commémoration, de la victoire posthume de l’amour sur la haine : le temps de la dramaturgie de WS ne dit-il pas plus qu’une statue même dorée qui lisserait trop les aspérités et serait trop facilement rassurante et édifiante?


     L'illusion n'est pas le fort de W : après la mort comme après la représentation de la mort chacun retournera à son temps: les musiciens ont des soucis de..musiciens (IV)affamés.

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[  entraînez-vous sur une question voisine : LE TEMPS N'A -T-IL PAS LE LE RÔLE LE PLUS IMPORTANT DANS R & J ?]

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