Rappeler l'apparition récente du mot (1724) et bien dire que DD ne pouvait connaître le mot déterminisme apparu après lui ; apprécions la définition de l’abbé Pluquet en1757 : “Le fatalisme est un système qui suppose que tout existe nécessairement, et qui attribue tous les phénomènes de la nature à une force sans liberté”.
-le fatalisme est une doctrine considérée comme scandaleuse par les spiritualistes* et acceptée par d’autres franchement athées : le fatalisme (qui n’est pas un, qui est divers) provoque à la fois débat sur la connaissance mais surtout sur la morale [et on comprend vite que derrière ce concept se cache la question : qui est Cause de toutes les causes ? Dieu, la matière ? Le roman ne répondra que très indirectement à la question.]
1/LES CONVICTIONS DÉCLARÉES de J :
A/SES REFUS :
-le finalisme dans la nature et le providentialisme :rien dans la nature n'a été fait par une Volonté (divine) et encore moins par une Volonté qui aurait voulu le meilleur pour l'homme.
-un de passages les plus spinozistes que J ne confirme pas souvent tient dans sa mise en cause d’une volonté divine 134.
B/SES PRINCIPES :
-tout est lié dans la nature, tout ce qui est est nécessaire (243 etc). Au sens de : devait avoir lieu. On pense évidemment à l’incroyable série causale qui va du cabaret au genou de Denise et constitue le récit des amours..
L’absence de lien sera appelé hasard qui ne sera que le résultat d’une ignorance.
Il y a une chaîne infinie d’éléments qui se développent selon une logique extérieure (la rencontre, le choc, l’assimilation etc) et intérieure (chaque sujet réagit à sa manière singulière suivant les lois uniques de son corps) : tout dans la nature et en l’homme est à la fois cause et effet, causes et effets aux intensités multiples 360. L’image forcément simpliste et réductrice de la gourmette sert à comprendre ces liens.
-être c’est être un effet, en réalité une infinité d’effets et de causes.
-J va plus loin : comme une déjà longue tradition, il associe l’homme à une machine, une sorte d’automate avec un ressort de plus mais qui réagit dans la rencontre des parties de son corps et des parties extérieures (tel fait, tel acte etc).
-la conséquence logique suit : J fidèle à Spinoza récuse les concepts de libre-arbitre, de liberté humaine, de volonté (humaine ou divine même comme on sait) : dév la pierre de Sp ou la boule de J 243. [C’est seulement ce qu’on retient à tort de l’appendice du livre I de L’ÉTHIQUE. Sp étant bien un grand penseur de la liberté ...Allez voir le titre du Livre V de l’ÉTHIQUE, sommet de la pensée spinozienne. De la Pensée.]
-J va jusqu’à récuser la notion d’acte gratuit* dans l’aventure du cheval (à la fin) précédée d’un dialogue (sur les cousins)) qui montre que l’acte gratuit dostoïevskien ou gidien (LES CAVES DU VATICAN) est impossible : une liberté qui cherche à se prouver absolument est une obéissance à une cause, à une interpellation.
- autre conséquence capitale qui fait hurler les théologiens : il récuse la distinction d’un monde physique et d’un monde moral : inutile d’introduire une âme qui serait à part et relancerait l’idée d’une origine divine.
C/LA CONSÉQUENCE MORALE, enjeu fondamental du débat:
-l’effet de cette pensée sur la morale est évident. RETENIR L’ESSENTIEL.
- s’il n’ y a que causalités à l’œuvre, s’il n’ y a pas de liberté, il n’y a ni vertu, ni vice. J hausse les épaules 243.
-il y a des êtres heureusement nés pour la bienveillance ou malheureusement nés pour la malveillance.
-le jugement est toujours complexe (qui peut juger Gousse ?) et le relativisme des valeurs est nettement souligné dans le roman même si deux postulats sont sans cesse rappelés : il faut penser à soi (se défendre est naturel, survivre est naturel, ainsi même les moustiques...) et, dans le même temps notre identité commune (êtres de nature) nous rend naturellement solidaires de l’humanité. Ne pas aller dans ce sens est rédhibitoire aux yeux de DD. Il y a en nous un universel, le code de la nature que la morale notamment religieuse contrarie au point d’être contre - nature. Il faut de toute urgence détacher l’homme de la servitude religieuse et lui apprendre à percer à jour avec la raison les tartufferies d’un Hudson.
-sur ces bases qui choquent les spiritualistes, J prouve fréquemment (comme la maîtresse de Desg (personnage capital !)) que la liberté de moeurs comme la théorie fataliste n’empêchent pas d’être à peu près honnête, loyal, ... : question de constitution, de corps : la pitié est aux endroits décisifs du roman et on sait qu’elle dépend des entrailles selon DD. Le malfaisant devra tâter du bâton - ou pire selon la lettre à Landois. Mais il faut compter avec la culture, l’éducation.
[Dans la lettre à Landois, il est patent que DD croit jusqu’à un certain point à l’efficacité de l’éducation (par l’exemple, le discours, le grand modèle, par la souffrance d’autrui etc.)]
Il y a chez le matérialiste une morale sociale.
II/UNE PRATIQUE BIEN PEU FATALISTE - plutôt déterministe même si le mot n’existait pas. .
A/ IL EST INCONSÉQUENT (il le dit clairement et se traite souvent de sot) et vit à sa façon le clivage pratique / théorie que Dd avouait pour lui-même dans sa RÉFUTATION D’HELVÉTIUS (voir la fiche de citations que je vous ai donnée un beau jour)
-certes au quotidien, quand les problèmes ne surgissent pas, il a un certain détachement et aime prendre son temps : cf J à cheval 21 & 46 : J ne se presse pas souvent et ne s’étonne pas non plus beaucoup.
-sa sensibilité est peu fataliste au sens strict : pourquoi pleurer un frère, un capitaine (et de façon presque pathétique 69) ? Retenons d’emblée que pour quelqu’un qui, devenu concierge enseigne Zénon de Cittium, on n’a pas affaire à un vrai stoïcien : il a essayé de l’être mais sans résultats cf 117(page capitale). Encore que dans sa prison, il le soit plus.
-il se met en colère, il réplique vivement, il fonce chez les brigands, il se maudit dans la négociation avec le chirurgien 110, il se plaint des cousins-moustiques, il regrette son beau geste (cruche). Spontanément. C’est une part automatique de son être :110 il tempête, il jure. Après réflexion il revient à son refrain comprend son erreur et se console.
-par rapport à Dieu, notons aussi l’inconséquence de la prière de J : elle contredit l’idée de J selon laquelle Dieu ne saurait avoir de volonté : il parle de corps (doigt), de volonté de Dieu 225. Or le spinozisme dont il se réclame refuse toute volonté à Dieu : Dieu voulant quelque chose se LIMITERAIT. Absurde en termes spinozistes.
*J dirait que sa nature, son être ont été constitué ainsi : se fâcher, se contredire font partie des causes contre lesquelles il ne peut rien spontanément.
Disons que DD fait un portrait lucide d’un être partagé entre conception théorique et pratique.
Mais J est plus que cela :il se sert de son fatalisme bien habilement.
B/Un FATALISME QUI CACHE SOUVENT UN DÉTERMINISME : une arme et un alibi
[il faut bien saisir que J est un personnage de fiction façonné à des fins persuasives et démonstratives par DD : il lui prête des erreurs, des approximations qui révèlent une réflexion insuffisante : ainsi de l’image du grand rouleau, du là-haut. (auquel DD ne croit pas) J a parfois des propositions étranges : il prie à tout hasard ( !!!) et on a vu qu’il parle du doigt de dieu 225 , véritable bouffonnerie aux yeux de DD (et "accessoirement" de Spinoza).
Sans connaître Spinoza, J a, sans le savoir, croisé, un tout tout petit peu, la connaissance du deuxième genre de Sp : la connaissance des rapports, la connaissance par la raison et donc des causes et des effets.
On peut avec l’aide de la raison comprendre non toutes les causes mais essayer d’en déterminer quelques - unes : après examen intelligent. Certes tous les signes sont potentiellement ambigus (et on connaît sa théorie du quiproquo et on a du mal à savoir dans le texte même quand et où le capitaine de J est mort), mais on peut modestement deviner que Richard a été moine, qu’un cheval récalcitrant est un cheval qui refuse les travaux de la campagne ; on peut chercher à comprendre pourquoi tel cheval s’emballe sans avoir recours comme le maître à la superstition....[Le romancier Dd lui sait bien où il veut en venir : le cheval est un automate, habitué aux fourches patibulaires..]
On peut étudier les êtres, les deviner quand on a repéré des constantes : par exemple le M est un automate, il réagit plus qu’il n’agit, il est passif, on le tient par des contes, il est bon malgré ses colères, on peut le moquer. En le fréquentant J a appris à le maîtriser, à tout faire à sa place, bref à le dominer pour le profit des deux.
On peut même anticiper comme le laisse entendre (plaisamment et de façon rusée ) le dithyrambe de la gourde non comme une astrologue mais pour tenter de deviner sur fond d’expérience ce qui va se produire comme dans un travail scientifique : la gourde est une astuce de J (boire sans remords) et un symbole fondamental pour DD : l’intuition du génie (scientifique, littéraire, politique) est dans le lien inédit qu’il fait entre des éléments jamais rapprochés et qu’il va unir pour créer, inventer, découvrir, transformer. Le scientifique anticipe, il a une idée produite par son travail, il se lance dans une hypothèse folle, on le croit saisi d’ivresse : la gourde alors est, à une autre échelle que celle de J, le symbole de son génie qui déborde de la normalité trop commune.
- nous sommes déjà à une degré supérieur et on saisit que le déterminisme (mot, répétons-le toujours, qui n’existait pas au temps de DD) ne se confond pas avec le fatalisme : dans le premier, je pense les causes (au plan scientifique et même social : j’examine la religion et ses effets pervers, la mauvaise justice et plus généralement l’État et ses dysfonctionnements et je peux intervenir en amont, par boucle de rétroaction). La raison ne vient pas d’en haut, elle progresse, elle s’affine par l’empirisme, avec la répétition des expériences. Le hasard, ce que l’on nomme hasard ou ce que J quand il récite son refrain appelle écriture d’en-haut est un déterminisme non décelé encore. Le déterminisme est la meilleure remontée de la pente fataliste.
C/TOUT SAUF UNE RÉSIGNATION
J a conscience de ses nombreuses limites (par exemple il ne devine pas que l’homme civil qui le sauva est un bourreau, lui qui sait pourtant deviner la cause de l’attitude automatique d’un cheval) et DD lui-même devait reconnaître chaque jour les limites du savoir humain, ce qui le rendait curieux de tout. On ne peut que progresser dans l’accumulation des acquis et des remises en cause des dogmes. Il est des causes partout : il est permis de travailler sur certaines de ces causes.
Le roman (le romancier) par le biais d’un J aux intérêts limités (encore que d’après le passage sur la gourde il se prononce sur absolument tout...) suggère qu’il faut œuvrer à la libération de l’homme (au plan social, religieux, politique) en sachant qu’on ne peut tout et qu’il y a aura des résistances. Avec la raison mais en sachant que la raison est parfois fantaisie. En sachant qu’on n’est pas libre absolument mais que la connaissances des conditions et des rapports peut améliorer les effets de certaines causes..L’homme peut agir et penser et faire des causes des leviers de son action.
Ainsi, pour revenir à J et à sa morale, on le croit indifférent aux récompenses et aux punitions mais il croit comme DD en la MODIFICATION On peut transformer une situation en l’éclairant et c’est la même chose pour les êtres et en principe pour les êtres en société : DD n’est pas convaincu que l’éducation fasse tout (comme Helvétius) mais il ne va pas jusqu’à la thèse de Gousse qui réfute l’idée du moindre profit de l’École : pourquoi aurait-il entrepris cette “folie” qu’était L’ENCYCLOPÉDIE si ce n’est pour éclairer, orienter, donner les clés de la connaissance transformatrice ? DD croit en l’exemple, en la formation. J a la fin, concierge de château, devient à son tour initiateur : il enseigne encore et toujours Zénon et Spinoza.
Dans son domaine modeste, J a tout de même bien œuvré : il prend le pouvoir par “contrat”, “humilie” le maître, refuse les coups qu’il acceptait de façon fataliste à la première étape ....mais la bride de son cheval casse et il se retrouve en prison. La vie est certes une machine mais vivante et elle n’est heureusement pas une machine intégralement prédictible. Faute de connaissance et non effet du hasard.
cl : le fatalisme de J est étonnant : voilà un être voué socialement à la dépendance et qui théorise une dépendance absolue de l’homme vis à vis des causes : en même temps on a rarement vu agent aussi libre et aussi maître de son maître...Avant tout, au quotidien, son fatalisme est un cadre de pensée du monde, une consolation devant le pire, un levier (il permet d’agir, de composer des rapports avec autrui qui tournent - plus ou moins - à l’avantage des deux, il permet une libération des dépendances par la connaissance des causes et l’appréciation des effets) et souvent un alibi : pour ne pas agir et pour n’en faire qu’à sa tête....Puisqu’il est écrit qu’il n’en ferait qu’à sa tête....
Rappeler l'apparition récente du mot (1724) et bien dire que DD ne pouvait connaître le mot déterminisme apparu après lui ; apprécions la définition de l’abbé Pluquet en1757 : “Le fatalisme est un système qui suppose que tout existe nécessairement, et qui attribue tous les phénomènes de la nature à une force sans liberté”.
-le fatalisme est une doctrine considérée comme scandaleuse par les spiritualistes* et acceptée par d’autres franchement athées : le fatalisme (qui n’est pas un, qui est divers) provoque à la fois débat sur la connaissance mais surtout sur la morale [et on comprend vite que derrière ce concept se cache la question : qui est Cause de toutes les causes ? Dieu, la matière ? Le roman ne répondra que très indirectement à la question.]
1/LES CONVICTIONS DÉCLARÉES de J :
A/SES REFUS :
-le finalisme dans la nature et le providentialisme :rien dans la nature n'a été fait par une Volonté (divine) et encore moins par une Volonté qui aurait voulu le meilleur pour l'homme.
-un de passages les plus spinozistes que J ne confirme pas souvent tient dans sa mise en cause d’une volonté divine 134.
B/SES PRINCIPES :
-tout est lié dans la nature, tout ce qui est est nécessaire (243 etc). Au sens de : devait avoir lieu. On pense évidemment à l’incroyable série causale qui va du cabaret au genou de Denise et constitue le récit des amours..
L’absence de lien sera appelé hasard qui ne sera que le résultat d’une ignorance.
Il y a une chaîne infinie d’éléments qui se développent selon une logique extérieure (la rencontre, le choc, l’assimilation etc) et intérieure (chaque sujet réagit à sa manière singulière suivant les lois uniques de son corps) : tout dans la nature et en l’homme est à la fois cause et effet, causes et effets aux intensités multiples 360. L’image forcément simpliste et réductrice de la gourmette sert à comprendre ces liens.
-être c’est être un effet, en réalité une infinité d’effets et de causes.
-J va plus loin : comme une déjà longue tradition, il associe l’homme à une machine, une sorte d’automate avec un ressort de plus mais qui réagit dans la rencontre des parties de son corps et des parties extérieures (tel fait, tel acte etc).
-la conséquence logique suit : J fidèle à Spinoza récuse les concepts de libre-arbitre, de liberté humaine, de volonté (humaine ou divine même comme on sait) : dév la pierre de Sp ou la boule de J 243. [C’est seulement ce qu’on retient à tort de l’appendice du livre I de L’ÉTHIQUE. Sp étant bien un grand penseur de la liberté ...Allez voir le titre du Livre V de l’ÉTHIQUE, sommet de la pensée spinozienne. De la Pensée.]
-J va jusqu’à récuser la notion d’acte gratuit* dans l’aventure du cheval (à la fin) précédée d’un dialogue (sur les cousins)) qui montre que l’acte gratuit dostoïevskien ou gidien (LES CAVES DU VATICAN) est impossible : une liberté qui cherche à se prouver absolument est une obéissance à une cause, à une interpellation.
- autre conséquence capitale qui fait hurler les théologiens : il récuse la distinction d’un monde physique et d’un monde moral : inutile d’introduire une âme qui serait à part et relancerait l’idée d’une origine divine.
C/LA CONSÉQUENCE MORALE, enjeu fondamental du débat:
-l’effet de cette pensée sur la morale est évident. RETENIR L’ESSENTIEL.
- s’il n’ y a que causalités à l’œuvre, s’il n’ y a pas de liberté, il n’y a ni vertu, ni vice. J hausse les épaules 243.
-il y a des êtres heureusement nés pour la bienveillance ou malheureusement nés pour la malveillance.
-le jugement est toujours complexe (qui peut juger Gousse ?) et le relativisme des valeurs est nettement souligné dans le roman même si deux postulats sont sans cesse rappelés : il faut penser à soi (se défendre est naturel, survivre est naturel, ainsi même les moustiques...) et, dans le même temps notre identité commune (êtres de nature) nous rend naturellement solidaires de l’humanité. Ne pas aller dans ce sens est rédhibitoire aux yeux de DD. Il y a en nous un universel, le code de la nature que la morale notamment religieuse contrarie au point d’être contre - nature. Il faut de toute urgence détacher l’homme de la servitude religieuse et lui apprendre à percer à jour avec la raison les tartufferies d’un Hudson.
-sur ces bases qui choquent les spiritualistes, J prouve fréquemment (comme la maîtresse de Desg (personnage capital !)) que la liberté de moeurs comme la théorie fataliste n’empêchent pas d’être à peu près honnête, loyal, ... : question de constitution, de corps : la pitié est aux endroits décisifs du roman et on sait qu’elle dépend des entrailles selon DD. Le malfaisant devra tâter du bâton - ou pire selon la lettre à Landois. Mais il faut compter avec la culture, l’éducation.
[Dans la lettre à Landois, il est patent que DD croit jusqu’à un certain point à l’efficacité de l’éducation (par l’exemple, le discours, le grand modèle, par la souffrance d’autrui etc.)]
Il y a chez le matérialiste une morale sociale.
II/UNE PRATIQUE BIEN PEU FATALISTE - plutôt déterministe même si le mot n’existait pas. .
A/ IL EST INCONSÉQUENT (il le dit clairement et se traite souvent de sot) et vit à sa façon le clivage pratique / théorie que Dd avouait pour lui-même dans sa RÉFUTATION D’HELVÉTIUS (voir la fiche de citations que je vous ai donnée un beau jour)
-certes au quotidien, quand les problèmes ne surgissent pas, il a un certain détachement et aime prendre son temps : cf J à cheval 21 & 46 : J ne se presse pas souvent et ne s’étonne pas non plus beaucoup.
-sa sensibilité est peu fataliste au sens strict : pourquoi pleurer un frère, un capitaine (et de façon presque pathétique 69) ? Retenons d’emblée que pour quelqu’un qui, devenu concierge enseigne Zénon de Cittium, on n’a pas affaire à un vrai stoïcien : il a essayé de l’être mais sans résultats cf 117(page capitale). Encore que dans sa prison, il le soit plus.
-il se met en colère, il réplique vivement, il fonce chez les brigands, il se maudit dans la négociation avec le chirurgien 110, il se plaint des cousins-moustiques, il regrette son beau geste (cruche). Spontanément. C’est une part automatique de son être :110 il tempête, il jure. Après réflexion il revient à son refrain comprend son erreur et se console.
-par rapport à Dieu, notons aussi l’inconséquence de la prière de J : elle contredit l’idée de J selon laquelle Dieu ne saurait avoir de volonté : il parle de corps (doigt), de volonté de Dieu 225. Or le spinozisme dont il se réclame refuse toute volonté à Dieu : Dieu voulant quelque chose se LIMITERAIT. Absurde en termes spinozistes.
*J dirait que sa nature, son être ont été constitué ainsi : se fâcher, se contredire font partie des causes contre lesquelles il ne peut rien spontanément.
Disons que DD fait un portrait lucide d’un être partagé entre conception théorique et pratique.
Mais J est plus que cela :il se sert de son fatalisme bien habilement.
B/Un FATALISME QUI CACHE SOUVENT UN DÉTERMINISME : une arme et un alibi
[il faut bien saisir que J est un personnage de fiction façonné à des fins persuasives et démonstratives par DD : il lui prête des erreurs, des approximations qui révèlent une réflexion insuffisante : ainsi de l’image du grand rouleau, du là-haut. (auquel DD ne croit pas) J a parfois des propositions étranges : il prie à tout hasard ( !!!) et on a vu qu’il parle du doigt de dieu 225 , véritable bouffonnerie aux yeux de DD (et "accessoirement" de Spinoza).
Sans connaître Spinoza, J a, sans le savoir, croisé, un tout tout petit peu, la connaissance du deuxième genre de Sp : la connaissance des rapports, la connaissance par la raison et donc des causes et des effets.
On peut avec l’aide de la raison comprendre non toutes les causes mais essayer d’en déterminer quelques - unes : après examen intelligent. Certes tous les signes sont potentiellement ambigus (et on connaît sa théorie du quiproquo et on a du mal à savoir dans le texte même quand et où le capitaine de J est mort), mais on peut modestement deviner que Richard a été moine, qu’un cheval récalcitrant est un cheval qui refuse les travaux de la campagne ; on peut chercher à comprendre pourquoi tel cheval s’emballe sans avoir recours comme le maître à la superstition....[Le romancier Dd lui sait bien où il veut en venir : le cheval est un automate, habitué aux fourches patibulaires..]
On peut étudier les êtres, les deviner quand on a repéré des constantes : par exemple le M est un automate, il réagit plus qu’il n’agit, il est passif, on le tient par des contes, il est bon malgré ses colères, on peut le moquer. En le fréquentant J a appris à le maîtriser, à tout faire à sa place, bref à le dominer pour le profit des deux.
On peut même anticiper comme le laisse entendre (plaisamment et de façon rusée ) le dithyrambe de la gourde non comme une astrologue mais pour tenter de deviner sur fond d’expérience ce qui va se produire comme dans un travail scientifique : la gourde est une astuce de J (boire sans remords) et un symbole fondamental pour DD : l’intuition du génie (scientifique, littéraire, politique) est dans le lien inédit qu’il fait entre des éléments jamais rapprochés et qu’il va unir pour créer, inventer, découvrir, transformer. Le scientifique anticipe, il a une idée produite par son travail, il se lance dans une hypothèse folle, on le croit saisi d’ivresse : la gourde alors est, à une autre échelle que celle de J, le symbole de son génie qui déborde de la normalité trop commune.
- nous sommes déjà à une degré supérieur et on saisit que le déterminisme (mot, répétons-le toujours, qui n’existait pas au temps de DD) ne se confond pas avec le fatalisme : dans le premier, je pense les causes (au plan scientifique et même social : j’examine la religion et ses effets pervers, la mauvaise justice et plus généralement l’État et ses dysfonctionnements et je peux intervenir en amont, par boucle de rétroaction). La raison ne vient pas d’en haut, elle progresse, elle s’affine par l’empirisme, avec la répétition des expériences. Le hasard, ce que l’on nomme hasard ou ce que J quand il récite son refrain appelle écriture d’en-haut est un déterminisme non décelé encore. Le déterminisme est la meilleure remontée de la pente fataliste.
C/TOUT SAUF UNE RÉSIGNATION
J a conscience de ses nombreuses limites (par exemple il ne devine pas que l’homme civil qui le sauva est un bourreau, lui qui sait pourtant deviner la cause de l’attitude automatique d’un cheval) et DD lui-même devait reconnaître chaque jour les limites du savoir humain, ce qui le rendait curieux de tout. On ne peut que progresser dans l’accumulation des acquis et des remises en cause des dogmes. Il est des causes partout : il est permis de travailler sur certaines de ces causes.
Le roman (le romancier) par le biais d’un J aux intérêts limités (encore que d’après le passage sur la gourde il se prononce sur absolument tout...) suggère qu’il faut œuvrer à la libération de l’homme (au plan social, religieux, politique) en sachant qu’on ne peut tout et qu’il y a aura des résistances. Avec la raison mais en sachant que la raison est parfois fantaisie. En sachant qu’on n’est pas libre absolument mais que la connaissances des conditions et des rapports peut améliorer les effets de certaines causes..L’homme peut agir et penser et faire des causes des leviers de son action.
Ainsi, pour revenir à J et à sa morale, on le croit indifférent aux récompenses et aux punitions mais il croit comme DD en la MODIFICATION On peut transformer une situation en l’éclairant et c’est la même chose pour les êtres et en principe pour les êtres en société : DD n’est pas convaincu que l’éducation fasse tout (comme Helvétius) mais il ne va pas jusqu’à la thèse de Gousse qui réfute l’idée du moindre profit de l’École : pourquoi aurait-il entrepris cette “folie” qu’était L’ENCYCLOPÉDIE si ce n’est pour éclairer, orienter, donner les clés de la connaissance transformatrice ? DD croit en l’exemple, en la formation. J a la fin, concierge de château, devient à son tour initiateur : il enseigne encore et toujours Zénon et Spinoza.
Dans son domaine modeste, J a tout de même bien œuvré : il prend le pouvoir par “contrat”, “humilie” le maître, refuse les coups qu’il acceptait de façon fataliste à la première étape ....mais la bride de son cheval casse et il se retrouve en prison. La vie est certes une machine mais vivante et elle n’est heureusement pas une machine intégralement prédictible. Faute de connaissance et non effet du hasard.
cl : le fatalisme de J est étonnant : voilà un être voué socialement à la dépendance et qui théorise une dépendance absolue de l’homme vis à vis des causes : en même temps on a rarement vu agent aussi libre et aussi maître de son maître...Avant tout, au quotidien, son fatalisme est un cadre de pensée du monde, une consolation devant le pire, un levier (il permet d’agir, de composer des rapports avec autrui qui tournent - plus ou moins - à l’avantage des deux, il permet une libération des dépendances par la connaissance des causes et l’appréciation des effets) et souvent un alibi : pour ne pas agir et pour n’en faire qu’à sa tête....Puisqu’il est écrit qu’il n’en ferait qu’à sa tête....